Journal de fin de jeunesse

Grand Amour, le parfum que maman n'a jamais porté

La journée. Ma journée. Elle avait pourtant bien commencé.

(Je me suis levée pas trop tard. Ensuite, j’ai pris un petit déjeuner raisonnable.
J’ai fais le ménage en grand. La lessive.
J’ai mis de la crème sur ma peau.
J’ai décidé de ne pas me laver les cheveux et de sortir avec ma gavroche.
J’ai juste mis un peu de rouge sur mes lèvres. Et du khôl noir sur mes yeux.
Enfin, j’ai mis du parfum. J’ai mis le parfum Grand Amour, d’A.G).

Ce parfum, ce sont des fleurs blanches et soyeuses mêlées à de l’ambre, généreuse.
J’aime beaucoup ce parfum.

Parce-qu’il me rappelle ma mère.

Ma mère, elle ne l’a jamais porté. Elle est morte plus de 3 ans avant que moi-même je ne connaisse ce parfum.
Et pourtant. C’est elle.
C’est le parfum de ma mère comme si elle était en vie, encore.
C’est le parfum qui la rejoint, toute entière. Qui la rejoint quelque part. Dans l’endroit que je ne connais pas encore.
C’est le parfum qu’elle aurait aimé. Choisi. Porté. Ou alors, c’est celui que j’aurais choisi pour elle. Il est celui que je choisi pour elle.
Celui offert à Noël. Ou, encore, celui reçu pour son anniversaire.
Celui, toujours, acheté à la va vite le jour de la Fête des Mères.
Celui, enfin, apparaissant dans le couloir de notre maison, grandiloquent et dans un bruit de talons. Apparaissant avant qu’elle même ne fasse son apparition. La devançant. Nous prévenant de son arrivée, comme un étendard amical.

C’est comme si je pouvais dire : "C’est son parfum".
Ou plutôt : "C’était son parfum. Celui qu’elle portait. Son préféré".

(Je pleure mais je n’arrive même pas à avoir mal là)

C’est comme si c’était le parfum d’un souvenir. (Mais ce souvenir n’existe pas, et n’existera jamais, car jamais elle ne l’a porté ni ne le portera.)
Un souvenir pourtant. Tenace. Une évidence. Un souvenir mélancolique et indispensable. Un vrai souvenir. Une vérité incontestable. Ce souvenir là : "Ah, tient, oui, ça c’était le parfum de maman !", Puis, un sourire plein d’amour. Le sourire qui n’oublie pas. Qui ne peut pas oublier. L’odeur est bien trop familière.
L’odeur de ces fleurs blanches évoque bien trop de moments passés avec elle.
Cette odeur sera, toujours, associé à elle. À maman, dans un murmure.

J’ai ce souvenir. Ce souvenir là. Que je me fabrique même s’il n’y parait pas.
J’ai ce parfum sur ma peau. Comme si je voulais maintenir maman en vie. Maman qui pourtant, n’a jamais connu ce parfum. Jamais.
Et ce matin, je marchais dans le froid de Paris avec ce parfum sur ma peau. Avec ce sillage derrière moi. Avec ce fantôme qui me suit. Et je pensais que je laissais derrière moi le même sillage que maman. Ce sillage là, qu’elle n’a jamais laissé derrière elle.
Et. J’y croyais. Et; j’y crois toujours.

C’est magnifique. Même si c’est triste. Il n’y a rien de moche là dedans. Ni d’absurde. Ni de fou. Ou, ni de malsain.
Je trouve ça magique, de ressentir ça. Une chose aussi forte que ça.
C’est une réalité. C’est aussi réel que que ce petit M que j’ai toujours autour du cou.
Ce parfum là, c’est maman.
Il remplace tous les autres que je lui ai connu.
Il a cette force là.
C’est lui que j’hume dans le souvenir des talons dans le couloir. C’est lui qui persiste sur son linge, même après le lavage. C’est lui qui surgit. Derrière la porte d’une chambre. Ou la porte d’entrée. De notre maison ou d’une autre maison. De toutes les maisons où elle a mis les pieds, affublée de ce parfum là.

Ce parfum. Il aurait été le sien. Si elle avait continué à vivre.
Il n’y en a pas d’autre possible. Il n’y en aurait plus eu d’autre .

Je le porte, même si il n’est pas pour moi.
Je le porte en hommage à ma mère. Pour lui redonner vie. Elle qui ne le portera jamais. Mais qui aurait du. Car il a été composé pour elle. çA ne fait aucun doute. (Et quand je l’ai senti, la première fois, cette évidence m’a frappé.)

Si, soudain et avec une profonde douleur, je réalise qu’elle ne l’a jamais porté, ça ne fait rien. Car:
Il est comme une ode à sa vie. Et à sa beauté. Il est comme une oeuvre posthume. Créée pour elle. À sa mémoire. Et le souvenir imaginaire qu’il évoque est aussi palpable que la plus brûlante des vérités.

Et c’est pareil alors.
Elle l’aurait porté je vous dis, de toute manière.
De toutes les manières possibles.

Et la réalité cruelle qui me crie que je divague, je ne l’écoute pas.
C’est à peine si je lui réponds : "Il y a eu une petite erreur de timing c’est tout. Elle ne le portera jamais, mais elle aurait du. Elle aurait du."