Journal de fin de jeunesse

Faune du métro parisien

Plus qu’une heure et demi avant que je ne parte travailler.

J’ai pas envie.

Je viens juste de rentrer d’une course obligatoire et démoralisante; en effet, les examens commencent lundi et j’avais besoin de tout le matériel pour les faux ongles qu’ils nous demandent. C’est à dire un kit Résine, un kit gel UV, des capsules, de la colle, des limes spéciales et des ponces spéciales, ainsi que tout un tas d’autres choses parfaitement inutiles à mes yeux en dehors de ce que l’on nous demande à l’école…

Les Faux-Ongles, j’ai ça en horreur. Je n’en ferais jamais de ma vie. Et puis j’estime qu’en étant en BTS esthétique-cosmétique, (le deuxième plus difficile de France après le BTS Diététique), on des filles destinées à devenir autre chose que des simples et vulgaires prothésistes ongulaires!!!!!!
Ces nanas là souvent je les vois, comme celle qui est venu nous former sur les techniques de Résine, de Capsule et de Gel UV à l’école. Je les vois; vulgaires, mâchant leur chewingum la bouche entrouverte dans un détestable bruit de mâchoires ensalivées, la peau abîmée sous un trop-plein de fond de teint, un peu froissée comme du papier-Bible. Je les vois qui parlent de leurs mecs (qui travaillent sûrement dans les assurances, ou pire, pour une société de téléphonie mobile), qui parlent de leurs prochaines vacances dans le Sud où elles vont "décompresser". Qui parlent entre elles, sûrement en se pensant cultivées et pleine de bon goût, du dernier Marc Levy comme s’il s’agissait de Giono ou de Dumas...
Je suis horrible. Odieuse. Mais j’en ai envie !

Les faux-ongles.
C’est nul. Inintéressant. Superficiel. Et surtout, bordel!! ! Qu’est ce que c’est cher!!!!
Je m’en suis sorti pour 180 Euros en me cantonnant au strict minimum requis !

Je suis dans une détresse financière ce mois-ci ! J’en ai marre.
J’ai encore du piocher dans mon livret A, car sinon j’aurais dépassé le rouge et carrément atteint les infrarouges!
Pour palier à tout ce stress plus qu’oxydatif, en plus, je mange mal.
J’ai beau me reprendre en main tous les matins, tous les soirs mes mains sont retombées. Je ne sais pas exactement où d’ailleurs. Mais elles ne sont plus là pour m’empêcher de faire n’importe quoi avec ma fourchette!
Voilà comment après ma course mise-à-sec de ce matin, je me suis arrêtée dans un Subway pour dévorer un sandwich et des chips, le tout accompagné de Coca 0 pour me donner bonne conscience !

Mais dans le métro, comme souvent, j’ai pu constater de belles choses. De belles personnes. Beaucoup de poésie.

D’abord, cette vieille femme arabe. Pas très différente, dans son style, de celles que je croise tous les jours. Mais avec quelque-chose dans les rides marquées. Quelque-chose dans la peau si fine et si parcheminée. Quelque-chose dans les yeux brillants et scrutateurs.
Quelque-chose, encore, dans la façon dont de petites franges de tissus venant de son voile caressaient son visage si vieux. Quelque-chose qui m’a ramené à Séville, dans un lieu mythique et poussiéreux du Flamenco. La Carboneria''. Là, dans un recoin obscure et voûté, fait de pierre et de charbon, il y avait des dessins, des portraits. Et plus particulièrement le portrait d’une vieille Gitane, ridée et scrutatrice, dont des franges de tissus retombaient sur son visage. Adoucissant des yeux si durs jusqu’à leur donner un air rieur.''
Cette vieille Arabe, ce matin, elle avait ce visage. Le même visage que celui sur la portrait.
J’ai croisé son regard.
J’ai bien aimé croiser son regard.
Elle a regardé mon visage, plus longtemps que nécessaire.
Je me demande ce qu’elle y a vu ?

En général, je trouve une noblesses chez les femmes arabes, qui me touche.
Je les vois tous les jours. Les Arabes d’ici ont peu d’argent. Barbès, La Chapelle.... Toujours la même histoire.
Tous les jours je les vois passer. Avec des chaussures en très mauvais état. Sans talons. Des collant bon marché, épais, lourds et dans des tons obscurs et tristes.
De longues et droites jupes en feutres. Des manteaux assez longs aussi, capitonnés. Sur lesquels subsistent parfois des fils, témoignants de retouches fréquentes. Témoignants d’économies.
Et. Malgré cette pauvreté notable, il y a tellement de noblesse dans leur maintien. Tellement de sévérité et de droiture dans leur tête, parée de miles couleurs (qui porte toutes la beauté qu’elles n’ont pas dans le reste de leurs vêtements). Tellement de noblesse, que ça m’impressionne. Tout le temps.

Ensuite, il y a eu les collégiennes.
Déjà de petites jeunes femmes. Alors que moi et mes amies, au collège, on était encore des petites filles.
Là, c’était différent.
(Le monde change trop vite. C’est effrayant.) Là, elles étaient déjà très affirmées. Elles avaient onze ans, pas plus. L’une d’entre elles, que j’ai perçu comme étant la leadeuse, portait du vernis bleu électrique sur les ongles.
Le vernis était très bien appliqué.
Je les ai écouté parler.
Elles discutaient des autres filles de leur classe, dont une certaine Nel. D’après la leadeuse, une petite blonde, Nel s’imaginait qu’on ne l’aimait pas. Pourtant, elles l’aimaient bien, toutes. Mais Nel semblait angoissée, peu sure d’elle.
Eléonore était très sympa. Anna Super sympa (j’ai souris). C’est Paulina qui était bizzare… (là j’ai eu envie de rire).
Tout ça, ces propos qui se voulaient adultes, ça sortait dans l’air par de petites voix. De petites vois d’enfants, encore très aigus.
C’était drôle.

J’ai ressentie une bouffé de tendresse pour ces petites nanas. Elles m’on fait rire. M’ont rafraîchie. çA m’a rappelé mes années collège. À quel point je devais être bébé, par rapport aux jeune adolescentes de maintenant.