Journal de fin de jeunesse

L'absurdité du stress au travail

C’est le début du mois d’août. Je suis chez mon père. Allongée au soleil sur un transat dans le jardin. C’est la fin de le journée. Et le soleil décline à peine. Ma résolution, mon évidence et donc, mon soulagement : Je vais démissionner ! La voilà, la solution enfin acquise et formulée. La solution à tous mes soucis. à : Ma brume perpétuelle le matin quand je dois partir. Y aller. à : Mes préoccupations gluantes, que je traîne même dans les bras de Papillon. à : Mes réveils maussades et mes angoisses nocturnes. La solution c’est ça. La réponse c’est ça. Je dois démissionner. Me barrer de là.
Sur l’instant, je suis tellement enthousiaste que je téléphone à ma soeur. Pour lui faire par de ma décision. Je suis sure de moi. Aussi résolue qu’inébranlable. Et bien sur, le soulagement, tout comme l’évidence, me submergent. Me bercent dans leurs bras bienveillants. Déjà, je ne suis plus au travail. Déjà, je sens et je sais que je n’appartiens plus à cette entreprise. Ecoeurante et poisseuse à force de raisin.
Je fais part de cette décision à l’amie de mon père. Elle est plus que d’accord avec moi. Mon argument ? Ma justification ? Ce qui me rend indéniable ? La vie est courte. Mon adage salvateur. Celui qui justifie mon acte prochain. Et me rend intouchable.
(Je m’abstiens de le dire à mon père. Néanmoins.)
Je ne connais pas la peur, ni la culpabilité, ni le sentiment de faute ou encore la redevance envers qui que ce soit. Et bien sur, quand Sorcière reviendra de vacances, je lui ferai part de ma démission le plus naturellement du monde. Sans sourciller. Ni rougir. Je m’en vais. Je le sais. Et soudain la vie me paraît plus savoureuse. Et l’avenir plus radieux. Plus léger. Plus rempli de promesses.
Et sans raisin ! Plus jamais de raisins!
J’envoie un texto joyeux à Papillon pour lui annoncer à lui aussi cette heureuse nouvelle. Qui tombe comme le rideaux sur la fin de la dernière scène d’une pièce tragique. Qu’on veut oublier au plus vite. Papillon est heureux. Il se doutait bien. Il savait que mes vacances chez mon père me seraient bénéfiques. Et me rendraient apte à prendre les bonnes décisions. Du temps pour toi, il m’avait dit, pour réfléchir à ce que tu veux vraiment.
Ce soir là, je m’endors légère et sereine. Pleine d’une force nouvelle.

Et. Les vacances se terminent.
Et. le travail reprend.
Le premier matin, après des retrouvailles magiques et sensuelles la veille, je m’effondre en larmes à côté de Papillon. Qui dort toujours. L’angoisse du travail me reprend. Et c’est comme si toute ma sérénité et ma force, acquise à grand coups de certitudes inébranlables, s’évaporaient. Je ne veux pas retourner au travail. Je le vois comme une punition. Comme l’abattoir. Je ne veux pas y aller. Plus y retourner. Je ne supporte plus.
Papillon me glisse, endormi, que je pars bientôt de là, de toute façon. Que ce n’est rien. Il n’arrive pas à comprendre ma détresse. Et moi non plus.
J’arrive au travail ce matin là. Le matin de la reprise. Ma collègue me demande si mes vacances, c’était bien. à Nouveau les larmes me submergent. Je pleure. Je me sens en prison. Contrainte d’être ici alors que mon esprit veut s’échapper. Je ne me sens plus à ma place et j’ai une envie violente de m’en aller. En courant. De m’enfuir de cette boutique et de ce SPA urbain étriqués qui me limitent et m’angoissent tellement. Mais j’ai beau me répéter que c’est provisoire, je me sens prisonnière. Comme si une force en moi, que je ne contrôlai pas, m’astreignait à rester là pour le restant de mes jours. M’obligeant à agir contre ma volonté. Je me sens comme ça, contrainte et forcée.
Puis, la semaine continue. Je m’apaise. Je reprends le contrôle. Non, aucune puissance maléfique ne me contraindra à rester là si je ne veux pas. Cette idée, naturelle, qui coule de source, je mets du temps à l’admettre. Mais je l’admets. Bientôt je me trouve ridicule dans mes accès de détresse. De paranoïa. (Papillon s’amuse à me dire que, quand je l’appelle du travail, j’ai l’air d’une otage qui a réussi à trouver un téléphone et qui s’en sert dans l’urgence, avant que ses ravisseurs, surement des membres de l’Etat islamique, ne la surprenne. Il a tellement raison que j’en meurs de rire.)
La semaine continue et je retrouve mon sourire. Ma tendresse. Je sais que je vais faire part de ma démission très bientôt à ma responsable, Sorcière.
Et alors arrive le jour où Sorcière revient de vacances. La veille, je dors peu et mal. Les cauchemars avec elle reviennent, ceux dans lesquels elle m’oblige à effectuer des tâches absurdes et m’humilie à loisir. L’enfer.
Ma collègue est partie pour deux semaines. Deux semaines que je vais passer seule avec Sorcière. Nos rapports sont faux et tendus. Très inconfortables. Si on peut s’éviter, on s’évite. Et alors je réalise que je suis incapable de lui annoncer ma démission. Je me pisse dessus. Je culpabilise. Je me sens en faute. Alors que je sais que c’est mon droit putain ! Et je procrastine: Demain, je lui dis. Merde. De quoi j’ai peur ? C’est la vie. j’ai le droit de m’en aller. Personne n’est irremplaçable...(Oui car dans cette confusion, ce magma de la perdition, j’estime que je vais forcément me faire engueuler si je démissionne car l’entreprise a investi sur moi et je suis la seule sur le marché avec ma collègue à savoir faire les soins C.....ie ! Et donc je vais les mettre grave dans la merde ! Et donc je peux pas dire que je pars sinon la maison s’effondre...) Une confusion de doutes, de craintes, d’idées toutes faites, de transferts bizarres et de distortions cognitives me bloquent et m’empêchent d’annoncer sereinement à Sorcière que je veux m’en aller. Peur de sa réaction. Peur de représailles… Sentiment d’être une enfant en faute qui se conduit mal. Sentiment d’être une ingrate. Lâcheté ? Peur qu’elle m’en fasse baver quand elle apprendra que je veux partir. Certitude que je vais rougir quand je vais le dire et perdre mes moyens. Peur de la punition. Incapacité à m’affirmer. Soumission à mes sentiments et mes sensations de craintes et de faute. Disparition de moi, de ma voix, de ma personne et de mes droits. Impossibilité de faire ce que je pensais faire avec sérénité et affirmation. Et toute cette force, cette certitude, ce soulagement ressentis alors que je me trouvais sur le transat chez mon père. Tout ça a disparu face à la présence cauchemardesque et autoritaire de Sorcière. Je ne me reconnais pas. Plus. Je ne comprends pas pourquoi je n’y arrive pas. Un mélange de tout ça sans doute, trop ancré en moi pour que je me hisse à la surface et sorte les paroles que je veux sortir de moi: je démissionne.
J’en parle à ma soeur. Elle essaie de comprendre pourquoi je n’arrive pas à le dire. Mon autre soeur aussi. Les rares amies à qui je le dis sont mitigées (l’une arrive à me comprendre car elle fonctionne comme moi; culpabilité, sentiment de faute persistant, manque d’assurance..., L’autre ne comprends pas non plus.) Papillon comprends et me conseille de prendre mon temps. Pour lui ce n’est pas grave. Ce qui est grave c’est ma façon de me battre comme ça avec moi même. Pour lui, quand je me sentirai prête, je le dirai…

Mais je suis prête à me barrer. Et je n’arrive toujours pas à le dire. Moi qui étais si sure de moi sur ce transat. Si sereine. Je me trouve des excuses maintenant, comme le manque de sous, les impôts, et comment je vais faire si je ne retrouve pas de travail… Je déteste tellement cet état de précarité et de dépendance dans lequel nous plonge le monde du travail ! (ça, ceux qui me lisent savent bien ce que je pense du monde du travail...)
Je me sens inaliénable. Incapable de me conformer aux exigences et aux normes du monde du travail. D’où ma détresse et mon sentiment punitif à chaque fois que j’y vais. Et de peur d’être percée à jour, je n’ose pas dire que je veux me barrer. C’est comme si je faisait une bêtise. Je vois le travail comme l’école. Au final, pour moi, c’est la même chose. Vouloir quitter l’école c’est mal. Alors le travail aussi, le quitter c’est mal. Educationnel ?

Et le pire c’est le stress. Sorcière est une hystérique qui, au non du sacro-saint chiffre d’affaire, relègue les nécessités humaines au second plan. Au Diable les pauses déjeuner et le respect des horaires de travail!
Et ce manque de considération pour l’humain, ça me stress énormément et me met très en colère. Je veux bien subir du stress au travail et ne pas compter mes heures si je sauve des vies ou si je sauve la planète. Mais subir un tel stress pour augmenter un chiffre d’affaire, c’est inacceptable. Quelle honte ! J’en vomis. Seulement on nous fait croire que c’est normal. Que ne pas manger, faire des heures sup' ni payées ni rattrapées, c’est bien. çA prouve qu’on en veut, qu’on est de bons employés… Et c’est comme ça que des personnes intègres se retrouvent embarquées dans ce système et le banalisent dans leur tête. Jusqu’à ce que leur quotidien devienne un enfer ordinaire. Cet enfer ordinaire, ça porte un nom (exploitation) et je m’y refuse.