Journal de fin de jeunesse

Peter Pan

Hier soir, j’ai rejoins D. pour une séance photo dans le froid. Dans Paris et dans le froid.
J’ai bien cru que j’allais en mourir, de froid.
Il avait une idée bien précise. Moi, j’avais passé la journée à me prendre la tête sur mes cours de biochimie.( Oui, mes examens trimestriels commencent lundi). J’étais claquée. Déphasée.
Son idée, c’est de créer un lien indéfinissable mais frappant entre son modèle et l’environnement extérieur. Par exemple, retrouver sur la photo une similitude, "un lien", entre le positionnement de la lumière sur le visage du modèle et le positionnement de la lumière sur un bâtiment. Des choses comme ça.
J’ai trouvé ça intéressant. Bien que difficile. Il qualifie lui-même son idée de "vrai défi".
On s’est donc retrouvé à Bercy. Pour aller faire des photos sur le parvis de la BNF.
Je l’ai aidé à trouver ce qu’il cherchait. Sur une ou deux des photos qu’on a faites, il était vraiment content du résultat ! J’étais aussi enthousiasme que lui!
(J’écoute le dernier Placebo voire ce que ça vaut....)
Il m’a dit. M’a fait comprendre, qu’il m’appréciait vraiment en tant que modèle. Il était assez déçu du modèle qu’il avait contacté pour cette série de photos. Série que je vais appeler Le Lien. Il était déçu car, pour la fille, la séance s’apparentait plus à une série de portrait. Elle voyait ça plus comme un book. Un truc sur elle en fait. Et pour elle. J’ai dis à D. que c’est une faute. Qu’elle n’a pas su comprendre son idée. Qu’elle n’a pas su s’oublier et répondre simplement à la demande du photographe. Qu’elle pensait à elle en posant. Et au résultat de la photo en fonction d’elle. Et j’ai dis que c’est dommage. C’est comme photographier un mur. Ou de l’égoïsme.
Ce n’est pas ça être modèle. Etre modèle c’est se plier au désir de l’autre tout en l’aidant à le voir sous un autre jour. Mais toujours dans le but d’améliorer son travail à lui. Pas son image à soi.

Je posais sur le parvis. Et déjà j’avais froid.
Ensuite, on est descendu. Jusqu’aux quais de Seine. On est allé sur un petit ponton. Jouer avec les reflets rouges de la lumières dans l’eau. Et avec mon trench rouge.
Un bateau mouche (mouche je crois) est passé. Et il s’est produit quelque-chose de magique. Qui m’a fait retourner à l’état de petite fille un instant.
Le bateau s’en allait. Et avec lui mon ombre. Et celle de D. Notre ombre; Sur le mur d’en face, notre ombre. Et nous y paraissions comme accoudés au bastingage d’un bateau à cause des barrières en métal du ponton où nous nous tenions. Et, avec la lumière fuyante du bateau, notre ombre s’est éloignée. Doucement. Tranquillement. Elle a vogué à la vitesse d’un bateau elle aussi. Paisiblement. Moi, je m’en allais sur l’eau. "Accoudée au bastingage". D. se tenait un peu en retrait. Comme s’il sortait d’une Berline Beige et s’approchait de moi.... Et cette ombre qui racontait une telle histoire s’en allait. M’échappait. Je la voyais réellement s’échapper. S’enfuir loin de moi. Alors que moi, je me tenais sur le ponton. Immobile. Accoudée.
Et pendant ce temps là, dire que j’étais sur un bateau, qui s’en allait......
Puis, notre ombre voyageuse a disparu. S’est évanoui. Le voyage a pris fin avec le bout du mur d’en face.
Et soudain il n’y avait plus d’ombre. Pas même l’ombre logique et immobile qui aurait du nous faire face!
J’étais émerveillée. J’ai crié à D. :"Regarde, notre ombre, elle s’en va. On dirait qu’on vogue sur un bateau!"
Il a rit. M’a regardé comme si il avait à faire à une attardée mentale. Et m’a fait savoir que ce phénomène était naturel et du au déplacement de la lumière. "Tu ne vois jamais ton ombre qui se déplace quand le Soleil bouge ?!"
"Si, j’ai dis, mais c’est différent. Elle reste soudée à mes pieds. Elle ne fait que décrire un cercle autour de moi. Ou s’agrandir. Mais elle ne m’échappe pas. Elle ne s’enfuit pas. Elle n’a pas de vie propre comme là. Je peux toujours l’attraper!"

J’ai pensé à Peter Pan. J’ai senti que si je voulais, je pouvais l’appeler, et qu’il apparaîtrait.
Pour moi, je venais de vivre quelque-chose de l’ordre du fantastique. Et je le crois toujours. Malgré les explications rationnelles de D. sur le déplacement de la lumière.

Et tout ça dans le froid. Dans un froid tel que je n’aurais pas pu le supporter plus longtemps. Je tremblais.