Journal de fin de jeunesse

Portoricaine (chronique de ma nuit avec lui)

C’est ce qu’il m’a dit. Ce vendredi soir. Vendredi d’il y a plus d’une semaine maintenant.
Ce vendredi soir là. Alors qu’on errait, à tâtons, à la Belleviloise. Il m’a dit que la première fois qu’il m’avait vu, il avait pensé, cru, que j’étais portoricaine.

Ce vendredi soir là. On s’est retrouvé à Gambetta. C’est derrière son appareil photo qu’il m’est apparu. Encore.
J’attendais de le revoir depuis deux mois. Dans ma robe, trop courte. Dans mes collants ("has been" des collants!). Dans mes bottines à talons noires et dans mon cuir, ce sont deux mois d’attente qui s’impatientaient. Qui tenaient tant bien que mal dans les tissus encombrants. Et : trop courts. Trop sexy. Trop insinuants.

On a marché. Perdus tous les deux. Et pourtant tous les deux parisiens ou ex-parisiens. Il a sorti un plan. Il avait un parapluie noir. Inutile. Et ses Pumas. Bleues. Celles que je connaissais déjà. Mais plus grises que la dernière fois au cimetière.
Je suis entrée dans un café pour demander le chemin. C’était un café dans lequel j’étais déjà entrée. Il y a des années. Avec C. Mon amant photographe d’il y a longtemps.
"Etrange", j’ai pensé.

Avant le concert, on a pris un verre. Un verre de vin rouge pour lui. Un martini pour moi. Je me suis demandé si je continuais à lui plaire. Malgré ma présence. Bien réelle cette fois. Non pas virtuelle. Je me suis demandé ce qu’il pensait de moi. Et si je lui plaisais toujours. Lui, tellement secret.
Tout ce que j’ai pu dire, j’ai trouvé ça idiot. Et dénué d’esprit. Et dénué d’intérêt.
Puis : le concert. Et : le guitariste qui me fixe, impudique. J. se tourne vers moi. L’ayant remarqué lui aussi : "C’est toi qu’il regarde comme ça ?". "Je ne sais pas", je réponds timidement. Innocente. (Mais bien sur que c’est moi.)
On était ensemble. Mais séparément. Moi, bougeant mon derrière, hésitant. Lui, derrière son appareil. Comme si il s’y cachait en permanence. Lui, photographiant les musiciens. Lui, encore, n’osant pas me regarder. Et moi, toujours, n’osant pas non plus.
C’est qu’il me plaît cet homme là. Il me plaît vraiment. C’est marrant. Homme ça ne lui va pas. Il a beau être de 11 ans mon aîné, je lui trouve des airs d’enfants. D’adolescent au visage abîmé. Aux yeux déjà ridés, un peu. Marqués. Et; il est tellement secret qu’il a l’air d’une femme.
Après le concert, je le traîne à la Belleviloise. Souvenirs d’amant chinois et de première poses photo. Révélations mélancoliques d’un moi que je ne connaissais pas. Ce soir là, des coïncidences qui me laissent coite. ( Le bar où j’étais allé avec mon premier amant photographe, C. La Belleviloise où pour la première fois j’avais joué à être un modèle, libérée de tous les regards. Ne vivant que pour tous les regards.)
Plus ça va, et plus je sens que c’est tellement bon d’être avec lui.
Mais il reste secret. Et je ne comprends pas si je le séduis ou pas. Si il est séduit ou pas. Si il a envie de moi ou pas.
Je ne sais plus ce qu’on se raconte. Ce que je sais. Et je le saurais encore et toujours. C’est que sur le trajet en métro qui nous ramène chez moi, son regard a changé. çA m’impressionne. Me rends timide encore plus. Son regard bleu-gris a changé. S’est métamorphosé. Déjà, je le vois lorsqu’on attends le métro. Ligne 2. Minuit passé. La nuit passe bien trop vite pour moi.
Son regard sur moi est; admiratif. Émerveillé. séduit. Et ça me fait peur. Tout en me réjouissant.

On a faim. Il se tape une amende par ma faute. J’ai plus que honte. Il me dit que je dois alors l’inviter à dîner. C’est sur que oui. On erre dans mon quartier. Moins à tâtons qu’au début. Je vois une minuscule souris se balader dans un restaurant. çA nous fait bien marrer. Comme un enfant...
Et; j’ai envie que la nuit avec lui dure trois jours.
On a faim. On erre dans mon quartier. Mais tous les Indiens sont fermés. Pas d’autre choix. On monte chez moi.
J’ai fais le ménage à fond. J’ai récurer les chiottes. Moi aussi, je me suis récurée. J’ai la peau plus douce et plus fraîche qu’une mangue mure. C’est tout fait exprès. "Au cas ou"... Mais ce cas là, j’en étais déjà presque certaine bien avant qu’il soit résolu. Sans le savoir, et sans le croire, je le savais.

Chez moi. Je me sens mal tout à coup. Mal au bide. Merde, ça va me gâcher ma nuit.
Il est sur mon canapé. Je suis pieds nus après avoir pris une petite douche. Pour me relaxer un peu. Ce que je me sens coincée!
Il est beau. Et il a le même regard changé. Le même que sur le trajet.
Je tremble. Je lui dis que j’ai froid. Mais : c’est sa proximité qui me fait trembler comme ça.
Trembler comme ça pour un homme qui me plaît, ça ne m’était pas arrivé depuis José. Le Gitan. J’avais 18 ans.
C’est que ça fait longtemps qu’un homme. Qu’un garçon je veux dire. Enfin que quelqu’un ne m’avait pas plu et touché comme ça.
(Et là, maintenant en écrivant, rien que de penser à lui, j’ai la chatte qui chauffe. Qui tire un peu. C’est vulgaire. Mais je ne vois pas comment l’exprimer autrement.)
On regarde un peu des livres de photos que j’ai. Je lui montre fièrement ma dédicace de Toni Morrison. Celle qu’elle m’a signé au Festival America la semaine précédente. Ce jour où j’ai pleuré de la voir.
Je lui raconte ça. Ma rencontre avec Toni Morrison, mon auteur préférée, au Festival America de Vincennes. Je lui raconte maladroitement le coeur qui battait. Le frisson énorme quand je l’ai vu arriver en chaise roulante. Puis les larmes. Je raconte des choses comme ça. Et son regard à lui reste le même. Je lui plais, je l’enchante. C’est ce que j’y lis. Je ne comprends pas pourquoi.
Posée comme ça face à lui sur le canapé, je me sens soudain bêtement ordinaire. Journalière. Factuelle. Vide d’art et de poésie. Tout juste baisable.

Il prend sa douche aussi.
Me demande je crois, ou ne demande pas, si il peut dormir dans mon lit.
Le temps que je revienne de la salle de bain, il est déjà dedans. Dans mon lit en hauteur. "C’est bien", je me dis, "ça nous évite le grotesque de monter l’un après l’autre. L’un qui monte, et l’autre qui attends, en regardant bêtement".
Je monte aussi. Me mets en sous-vêtements. Soigneusement choisis pour l’occasion. Mais un peu passés. Assez vieux. La faute à pas-de-tune.
Sous la couette, je sens son flanc droit. Chaud. Doux.
On se frôle sans intentions. On est là. Comme deux cons, je l’avoue.
Pour casser la pression, je mets Agnes Obel. On aime tous les deux.
Il touches mes boucles. Celles qu’il disait si belles. Si parfaites. J’ai honte. Il va se rendre compte que non. Que mes cheveux sont trop fins.
Je tente, pour me rapprocher. Pour que les évènements prennent enfin une tournure, quelle qu’elle soit. Je tente
un rapprochement timide. "J’aime bien ton odeur". J’ai envie de le caresser. J’ai envie de le toucher. De respirer sa peau. Mais je n’ose pas. Je n’ose rien. Je suis tétanisée. Dire que j’aime bien son odeur, c’est le maximun que je peux faire. J’ai atteints mes limites. Je ne sais toujours pas s’il a envie de moi.
"Et la tienne..?.", il répond. Et c’est à cet instant qu’il se penche vers moi. Qu’il glisse son visage dans mon cou. Qu’il me respire. Me touche. Et qu’enfin, il m’embrasse.

Il m’embrasse.

Et c’est alors que je sens sa nudité. Depuis le début, il était nu.
On fait l’amour. Et tout est magique. Evident. Intense. Et naturel. Tout coule de source. On s’entend bien.
Depuis très longtemps je n’avais pas vécu une fusion pareille. Une alchimie pareille.
J’aime tout. Son odeur. La taille de sa queue. Sa lenteur. Sa façon de gémir. De me dire que c’est bon. Sa façon de jouir. Tout.

Le lendemain matin, il se passe quelque-chose. Il se passe : le bonheur d’émerger dans ses bras. Et encore mieux : Soudainement,doucement, vaporeusement, il se sert contre moi. Me sert fort dans ses bras. Enfoui son visage contre moi. Et me respire. Et ça dure longtemps. Et il me serre si fort. Je suis grise. Bien. Ailleurs et là plus que jamais. Envahie par sa chaleur. Son odeur lourde. Et… Et quoi ? Son… kiff ??
Après ce long moment, il me caresse le visage et les cheveux encore. Et encore. Rien de sexuel. Juste de la tendresse.
Je voudrais lui demander de rester. Mais il est 8h00. Il a un train à 9h00. Et moi je travaille.

On se lève. A regrets.
Il a rendez-vous dans l’est avec une garce nippone.
J’ai les seins nus dans la lumière paisible d’un matin frais. Il me prends en photo. Il a le visage si fatigué.
Je veux qu’il reste. Qu’il parte, ça me déchire le corps. Mais pas que le corps…

"A la prochaine." il dit. Il est parti.
Je reste ensommeillée, avec un goût de rêve sur la langue. Et son odeur lourde sur toute ma peau. Ma peau que je ne veux pas laver. Pas laver. Pour ne pas que l’odeur disparaisse. Pour rester encore dans cette odeur là. Et savoir qu’il ne s’agit pas d’un rêve. Pas encore.

Il me plaît. Je veux le revoir.
Lui aussi ? Je crois que oui. Il vient toujours me parler sur fb. Fait allusion à cette belle nuit...
Je crois que oui. Mais je n’ose même pas lui demander. J’ai trop peur qu’il ne disparaisse alors. S’évapore comme un rêve. Ne laissant qu’un bref sillage derrière lui. Et des bleus sur mon bras droit. Qui refusent de s’effacer.