Journal de fin de jeunesse

Seule avec mon tigre

Il neige.

Le spectacle du ciel constellé de poudre blanche m’a étourdi.

Maintenant, il pleut plus qu’il ne neige. La poudre se transforme en marée grise à l’instant où elle touche le sol.
Fluide soudain. Comme touchée par la magie.

La mer, presque.

Je reviens du cinéma où je suis allé voir L’Odyssée de Pi avec Fanny. Je suis encore toute imprégnée de l’ambiance pesante du film. L’ambiance étrange et dépeuplée. L’ambiance farouche de la réclusion. Et de l’abandon à la sauvagerie.
Je suis toute imprégnée encore du tigre. Je pense à ce tigre. Je n’arrive pas à le laisser s’en aller.
Ce tigre m’a bouleversé. Ce tigre là, qui, on l’apprends finalement; Ce tigre là qui n’est que la partie sauvage qui survit au fond de nous, tapie dans l’obscurité de l’instinct.
Ce tigre là qui est tout, finalement.
Ce tigre là qui sort de sa tanière à l’instant de la chute, et nous évite de basculer dans la misère de la folie humaine.
Ce tigre là est à caresser. Avec amour. Avec respect.
J’ai envie de pleurer. Là, en pensant à ce tigre. Et à sa nécessité absolue.

Je me sens bouleversé en permanence.
Mais vivante.
Et bien.
Changeante. Je me sens changeante.

(Même hier soir : Hier soir je parle avec Monsieur William. Et je me mets à pleurer. Parce-que ce qui sort de moi, ça me bouleverse.)

Je vais me coucher. Et penser au tigre. J’ai les larmes aux yeux rien que de penser au tigre, encore. Il a envahit ma tête.
Pour des tas de raisons. Parce-que, aussi, c’est un animal tragique et beau. Et qu’il disparaît peu à peu. Aussi pour ça, parce-que je me dis que sûrement, j’assiste aux derniers tigres. Et c’est insupportable. De vivre en sachant ça, c’est insupportable.
Pour des tas de raisons. Parce-que, ce tigre qui souffre et lutte pour survivre, ça a touché ma corde sensible. Mon âme défendeuse des animaux. Je revois sa tête d’épuisement et de résignation à la mort posée sur les genoux de Pi. Et ça me rends triste de la manière la plus simple.
Pour des tas de raisons. Parce-que, ce tigre, il me ramène à moi. Et à ma propre solitude. Et à mon propre côté sauvage caché, qui est sûrement mon meilleur côté...
Et alors, je pense à tous ces tigres qui s’ignorent. Et je pense à tous les ravages que cette ignorance a provoqué. Partout.

Peut-être que si l’on chérissait plus nos tigres, des drames auraient été et seraient évités.

Je vais me coucher. Et penser au tigre. Je ne comprends pas pourquoi écrire ça, ça me fait pleurer.
Je ne laisserais pas le tigre s’en aller.
J’ai cette envie improbable qu’un tigre tout chaud et tout seul m’attende dans mon lit. Et que je puisse l’étreindre. Fort. Plonger ma tête dans sa fourrure âcre. Et que ça m’apaise et me rassure comme jamais rien ne m’a apaisé.