Journal de fin de jeunesse

ça va mal

Je me sens très mal.
Je pensais, enfin je crois que je pensais; qu’en allant chez papa ça irait mieux. Que d’être ici ça me ferait me sentir mieux et reposée. Mais c’est comme d’hab, voire pire : Je vois bien qu’avec ce qui est arrivé à papa (la perte d’une bonne partie de sa vue), il ne va pas bien du tout. Et le réveillon, plutôt rigolo et joyeux, ne m’a pas trompé. Je sens trop les choses. Trop fort. Avec cette densité là; trop forte. Et ça me mine.
Hier soir ça a été. Y’avait mon frère et sa copine. On a bien mangé. Bien rigolé. Tout. Papa avait fait un super bon repas.
Mais aujourd’hui, quand on est revenu de ballade et qu’on est rentré dans la maison, papa et Claude y étaient en pleine dispute. Papa assis sur le canapé, comme un vieux qui n’en démords pas. Qui radote une autorité vaine. çA m’a bousillé de voir ça. Et Claude qui pleurait. Qui me dit qu’elle aime trop mon père mais que là elle peut plus.... çA me tue. Comment aller bien en étant consciente de la déchéance de son père, et de la fragilité précaire de sa situation ?
Je crois qu’il ne veut pas accepter qu’il ne peut plus conduire, que c’est trop dangereux.... Mais si il l’accepte, je crois que ce sera le début de la fin. Il n’aura rien faire, et plus aucune autonomie.
Il n’a d’entrain pour rien. Ne veut rien faire comme activité. S’inquiète pour tout. Comme un vieux… Ce qui lui est arrivé, ça lui a fait prendre 10 ans. 10 ans putain.
Et j’ai peur de la solitude qui le guette car je sens bien que Claude est frustrée, et qu’elle ne va pas tenir bien longtemps.
J’ai peur. Je me sens mal. J’ai peur. Je me sens atrocement mal de voir tout ça.
Ce semblant de vie. Alors qu’au fond, à part la télé et la cuisine, il a rien à quoi se raccrocher pour s’occuper. Pour passer des années agréables. Il devient comme ma grand-mère : inquiet, parano. Vieux.
çA me fait me sentir extrêmement mal d’écrire tout ça. C’est atroce. Ce que je sens, et comment je peux en souffrir. Mais c’est plus fort que moi.
Peut-être que je noirci le tableau. Peut-être que je dramatise. Que tout ne va pas si mal. Mais je n’y peux rien. Je ressens et j’anticipe le pire.

Hier soir il était si content de nous avoir.
Mais aujourd’hui je sens tout glauque. Et j’ai envie de pleurer putain. Je n’arrive pas à faire semblant d’être joyeuse comme mon frère.... Je ressens trop le drame interne de mon père et de ce qui se passe en réalité ici.

Je pensais que ça irait mieux. Qu’être avec mon père m’apaiserait. Me soulagerait. Me rassurerait sur la situation. Mais c’est le contraire.
Je ne peux pas lire, me détendre, regarder des séries comme je l’avais prévu.
Je suis trop mal. Trop consciente.

J’espère me tromper. J’espère tellement me tromper et que tout va bien aller.