Journal de fin de jeunesse

Décalée

18h35, heure à laquelle j’aurais pris mon train de retour à gare de Lyon si je n’avais pas décidé de sécher les cours cette après-midi.
18h35, j’espère qu’il n’est pas trop tôt pour un verre de vodka.

Aujourd’hui j’ai sécher les cours de l’après-midi parce-que je me sentais décalée. Et je ne culpabilise pas. Je n’essaie pas de me sentir un peu malade, un peu patraque, pour me prouver à moi-même que je n’étais pas en état d’aller en cours.... J’assume.
Je me sentais décalée oui. Un peu minable aussi. décalée par rapport à toutes ces nanas avec qui je n’ai rien en commun. La plupart sont idiotes, incultes, superficielles et très peu ouvertes. Elles sont très limitées en somme. Parfois, j’ai du mal à m’adapter. Je fais des efforts, j’essaie de parler comme elles, comme si j’avais 19 ou 20 ans. Et j’y arrive très bien. Mais certains jours, comme aujourd’hui, c’est fatiguant. Désespérant. J’ai conscience de mon sentiment de supériorité. J’ai l’assurance que c’est mal. Mais je n’y peux rien. Pour certaines, comme pour Aurélia, je suis atypique et fascinante, très intelligente. J’ai voyagé loin et seule, je parle couramment une autre langue, je me suis occupé d’animaux fascinants, j’ai étudié des tas de choses..... Je les impressionne. D’autant que j’ai les meilleurs notes de la classe. Et moi je pense "j’ai 24 ans, je suis un bébé encore, ce qui est extraordinaire pour vous, pour moi c’est trop peu. Je n’ai rien vécu encore, rien. Je suis à l’aube de ma vie et ce qui me reste à découvrir est immense". Si ça ça les impressionne, c’est que vraiment, elles ne connaissent pas grand chose. (je m’en veux d’être aussi dure dans mes propos, mais c’est ce que je sens, constamment, sans arrêt). Et le problème, c’est qu’elles, elles ne m’impressionnent pas. Rien à raconter jamais, autres que des histoires de mecs, souvent d’ailleurs trop banales pour être croustillantes ou dignes d’intérêts.... Et je vois leur difficulté en cours, quand moi ça me paraît enfantin. Voilà, ça c’est ma classe. L’univers dans lequel je suis plongé depuis la rentrée de septembre. Je m’y sens décalée. À me demander parfois ce que j’y fais. Je pensais que je découvrirais des filles intéressantes aussi, en esthétique, pas que des cruches. Mais je suis déçu.
Et ce matin je me suis barré, à ressasser la conversation qu’on a eu avec P. hier. Lui aussi se sentais décalé quand il a fait son bac pro cuisine. Mais il a tenu. C’est finalement terrible comme situation. C’est traître un peu. Dans ce genre de contexte scolaire (ou autre) où l’on a la position de l’intellectuel, du mec "un cran au dessus", il est très facile de devenir méprisant, hautain, un peu snob aussi, un peu supérieure. Or, ce n’est qu’une impression, une fois confrontée au vrai monde intellectuel, on se rend compte que l’on ne vaut rien. Il y a de quoi se perdre. De quoi ne plus trop savoir qui on est, quelles sont nos valeurs,, comment on appréhende la vie, quelles sont nos aspirations, nos ambitions.... Il est aisé de ne plus se reconnaître, petit à petit, confronté à ce genre de situations. Situations qui a le défaut principal de durer dans le temps.
Oh, je raconte des conneries, ou je n’arrive pas à m’exprimer comme je le veux, je ne sais pas. Dans tous les cas c’est ce que je ressens, et très fort aujourd’hui. Mais ça va passer, oui...
Ce qui me fait tenir, qui me conforte dans mon choix de l’esthétique et de la beauté, c’est Yasmina, ma responsable en stage. Cette femme est magnifique et admirable. J’ai choisie de travailler avec elle car elle représente ce à quoi j’aspire. Elle est la preuve que l’on peut-être femme de lettre, incroyablement intelligente, forte, cultivée, passionnée et que sais-je encore.... et s’épanouir dans le domaine de la beauté. Elle est la femme que je devais rencontrer. Celle qui m’a rassuré, qui me fait y croire. Je suis honorée de travailler avec elle. J’ai de la chance c’est clair. Je n’ai pas choisi un institut de beauté pour faire mon stage. Ce que j’ai choisi, c’est une personne avec laquelle j’avais envie de travailler et d’apprendre. Pas une responsable d’institut, mais un modèle à suivre.
La beauté me passionne depuis que je suis une pitchoune, mais c’est vrai que j’avais du mépris pour les CAP esthétique (comme tout le monde non ?). Mais j’ai mûri, j’ai de l’ambition et des projets bien à moi. Tout ce dont j’avais besoin, c’était de m’assurer que les préjugés sur l’esthétique était faux et que je pouvais moi aussi m’y épanouir sans devenir synonyme de femme avec le QI d’une écrevisse et la créativité d’un tétard. Et Yasmina a réussi à me rassurer là dessus.

Mais n’empêche, je me sens décalée, quoi-que je dises ou pense. Et insatisfaite. Toujours et éternellement insatisfaite. Par exemple, je sais que si je deviens maquilleuse de scène, j’envierais les comédiens, mais si je m’étais lancé dans le théâtre (qui me manque atrocement et d’ailleurs je crois que j’ai raté ma vocation, mais c’est un autre problème, enfin...), ç’auraient été les maquilleurs que j’aurais envié. Voilà, ça c’est moi ! Je me présente!
Et puis il y a autre chose aussi. La nouvelle copine de J. Une certaine Ana P. Elle est comédienne là bas au Mexique, talentueuse, une artiste quoi.... Et je suis jalouse. Je me sens minable à côté, moi et mes études d’esthéticienne. Ma vie est à chier depuis un an. Enfin une vie ? Quelle vie ? ? Alors que elle, Ana P. elle monte sur scène tous les soirs, est applaudie, admirée. J. doit l’aimer tellement, être tellement fière d’elle. Je suis minable à côté, une ratée. Voilà comment je me sens, tout le temps un peu, et ce soir très fort; une ratée, qui ne mérite pas qu’on la regarde. Qui ne mérite pas d’être aimé.

Quelle horreur de se sentir comme ça, pas à sa place, perdue et ratée. Faut que je me reprenne là, ça peut pas continuer. (je croyais que j’étais la seule pour J. son "FAIT PRÉCIPICE", l’inoubliable. Et bien non, il y a Ana P, sûrement 100 fois plus intéressante que moi).
Et là, pour le coup, c’est moi qui est à cette place de la fille qui admire l’autre, et plus le contraire....