Journal de fin de jeunesse

La vipère

Sale journée. Enfin je crois. Des pleurs dans les toilettes de l’institut. Des plaintes à mes collègues dans la "cuisine". Des mauvaises pensées dans le hammam. Des mauvaises ondes en cabine, pendant le soin visage d’un cliente. Aucun pourboire. Aucune alternative pécuniaire pour consoler ma détresse émotionnelle (au moins).....
Je sais pourquoi je n’ai plus envie d’y aller. Plus envie d’y travailler. Plus envie de m’y donner autant (alors que je ne suis même pas un peu payée, du moins dédommagé). C’est ELLE.

Depuis samedi dernier, j’ai senti sa sournoiserie. Légère, légère.... Mais c’est devenu détectable. Par moi.

Car elle s’adresse à moi. Yasmina a changé son comportement. Ou alors, elle ne peut plus cacher derrière ses louanges obligatoires et inévitables (oui car je travaille très bien et je le sais, la faute aux clientes...) ses vrais sentiments à mon égard. Et ils sont : de la méfiance, du soupçon, et une certaine rancoeur. Pourquoi ? je l’ignore.
Mais depuis ce jour là que j’ai dit, elle me reproche, s’acharne en toute subtilité à m’humilier discrètement. Et ses reproches infondées me pèsent, car même si parfois justifiées, elles pourraient s’adresser à n’importe lesquelles des autres esthéticiennes qui travaillent à l’institut; traces de cire par terre, robinet pas bien essuyé, taches d’huiles sur le linge..... Tout ça, c’est tout le monde. Mais c’est à moi qu’elle le fait remarquer. Moi qu’elle prend comme exemple aussi, pour dénoncer les petites imperfections des méthodes de travail de nous toutes, les esthéticiennes.
C’est pire qu’agaçant. J’en viens à y penser ce soir dans ma douche sensé être un moment de pure relaxation. C’est dérangeant, et menaçant aussi. Je ne comprends pas ce qu’elle me reproche. Ni pourquoi elle semble m’en vouloir.... Je suis sa stagiaire et je pensais qu’elle m’aimait beaucoup, à sa façon de parler de moi ect.
Mais; je me suis peut-être trompée et une tout autre Yasmina se profile, de plus en plus stressante pour moi, et décourageante pour ma bonne volonté et mon désir d’apprendre et d’apporter en retour!
C’est dommage. Je me sens déçu et injustement jugée.
Aujourd’hui, j’ai nettoyé le hammam, et c’est Tassa qui l’a séché car ça, je n’avais pas eu le temps de le finir. Puis; pendant que Tasse terminait derrière moi de sécher donc, Yasmina est entrée en même temps que moi et m’a dit, désignant Tassa : "Tu vois, regarde comme Tasse lave bien comme il faut, avec elle au moins c’est nickel...." Je l’ai regardé, mi amusée-mi gênée de devoir lui dire ce que j’avais à lui dire et donc de la décevoir dans sa jubilatoire mais néanmoins illusoire victoire sur moi, et je lui ai dit "Euh, c’est moi qui l’ai nettoyé le hammam"....
Même Tassa a été choqué et n’a pas trouvé ça normal. J’étais mal, très mal. Me comparer. Essayer de trouver la preuve, enfin, que je suis une crasseuse pas digne de confiance. L’envie de dire "J’avais raison tu vois !! ! Tu es mauvaises dans ton travail!".
Plus tard, Y. était absente et j’avais besoin de faire une photocopie. J’ai donc demandé à D. (que j’adore) si je pouvais en faire une. Oui, elle m’a dit, vas-y. Je photocopie donc. çA a pris deux feuilles de papier. Un peu d’encre noir. Et bien Y. vient me voir et crache :"J’ai vu que tu avais fait une photocopie, tu aurais pu demander la permission". Bien sur, elle ignorait si j’avais ou non demander la permission, elle était pas là… Putain. Alors je la regarde droit dans les yeux, sans sourire cette fois, et sans gêne polie, je réponds, très froidement "J’ai demandé. Vous vous étiez absenté, j’ai demandé à D." Et elle a quand même eu besoin de rajouter que d’accord, mais c’est par principe, il faut toujours demander..... Alors que oui, j’avais demandé. (deux feuilles de papier......)
J’ai senti ici, avec rage et consternation, le besoin d’elle de trouver n’importe quel prétexte pour me faire une reproche. Il fallait qu’elle en fasse un. N’importe lequel. Et Bam, l’histoire de la photocopie. Rabaissante pour moi : "il faut demander, c’est pas principe....." (cela semblait dire "tu vois, tu es mal éduquée, tu vois, j’ai finalement quelque-chose à te reprocher....."). Dommage pour elle, la dessus aussi rien à redire, j’avais demandé.

Me reprocher quelque-chose, par tous les moyens. Horrible, nausées de souvenirs douloureux; mon père, ces deux dernières années, m’accablant de reproches et de tous les maux, sans cesse et avec obstination. Deux années de cauchemars à sentir le poids des reproches dans sa voix, dés qu’il m’appelait. (moments de cauchemars, cauchemars mais maintenant terminés). Et puis Yasmina s’y met. Et voilà que ça me replonge dans ces deux années. Le même comportement que mon père à mon égard.... çA fait mal, ça fait peur, c’est comme un cercle sans fin. Une malédiction.
C’est ça que je sens depuis quelques jours, et peut-être même bien plus. Je travail dans ces conditions malsaines ou le reproche pèse sur moi et me ramène à ma vie avec mon père, dans la crainte et l’angoisse. Tous les jours. Tous les jours. Il faut que ça cesse. Je ne mérite pas ça.
Et j’ai horreur de ces personnes, qui sont convaincus de souffrir de persécutions. Et j’avais peur que ce soit ça. Mais non, je suis fixée aujourd’hui, il y a quelque-chose et je ne me trompais pas. Mon intuition n’était pas juste de la paranoïa. Je l’ai vu aussi, que je suis saine d’esprit, que je ne m’imagine rien. Vu dans le regard de Tassa…

Y., je l’aimais beaucoup pourtant, avec toute mon admiration. Mais Y. Parfois j’ai l’impression qu’elle siffle encore plus fort qu’une vipère.

Je crois que je n’arriverais plus à parler d’elle comme j’en parlais avant. Dommage. Mais je vaux plus que ça