Journal de fin de jeunesse

Papa

J’ai vu papa lundi.
çA faisait longtemps, depuis Noël il me semble.
Il est venu le lundi matin, avec Françoise, pour le thé.
J’étais contente, de le voir. Ils revenaient tous les deux d’une semaine passée avec les enfants (Justine et Lucas) dans la maison de Verrières.

Mon père a mis la maison en vente, ça y’est. çA devait sûrement arriver. Un an à peine après y avoir emménagé. Après avoir quitté la maison de la vie heureuse (et de la fin de la vie de maman), de Vaux le Pénil. Après que lui, ai voulu à tout prix s’installer dans la Vienne, la région de maman. Alors que, je le sais, il a voulu à tout prix aller là bas, déterminé dans son projet si sombre. À tout pris voulu aller là bas, je le sais, pour se rapprocher de Civaux. Civaux, le village de ma mère. Avec l’église qui l’a vu baptisée, puis mariée. Et puis 28 ans tout juste après le mariage heureux, enterrée. Enterrée dans le cimetière de Civaux. Que j’adore. Dans lequel je jouais avec mon frère étant enfant. Enterrée ma mère, un an et 4 mois après sa mère à elle. Onze moi après son père à elle. "Toute une famille rayée de la carte" il avait dit papa, aux prémices encore du deuil. Quand le deuil était encore étourdissant, brumeux, halluciné. Quand il était insouciant, encore. Au temps du deuil chimérique… C’est ça qu’il avait dit papa : "toute une famille rayée de la carte, en si peu de temps." Il parlait de maman, de papi et de mamie.
Alors, ce que je sais très fort, c’est que la maison de Verrières, c’était pour être près de la tombe, voilà. Près du corps tant aimé. Près du cadavre en décomposition de la femme de sa vie, de son amour. De ma maman adorée. C’est pour ça que papa, il est inquiétant. C’est pour ça que la maison de là bas vendue, c’est une bonne chose...
Même si j’adore cette maison, avec vue sur les champs de moutons. Même si j’adore son grand jardin avec sa dizaine d’arbre qui font l’ombre parfaite pour mes évasions dans les livres, l’été. Même si j’adore sa belle véranda où, quand il pleut et fait de l’orage, il est merveilleux de rester. Et d’écouter. Toute petite, à peine protégée par du verre des éléments qui s’expriment. Avec la vue sur le ciel gris et lumineux.
Oui, j’adore cette maison. Dans la région de maman. La maison que papa a acheté vite, sans refléxion, instinctivement. Pour être avec elle…

Mais voilà la maison à vendre. Et papa qui s’ennuyait trop là bas. Et le désir d’acheter plus près de Paris, un appartement peut-être. (je sais que c’est pour Françoise).
Je sais oui, que c’est pour Françoise.
Car : Avec papa, lundi, nous étions en voiture. Je lui ai dit que vraiment, je ne l’imaginais pas dans un appartement ici. Et ce qu’il m’a répondu m’a fait mal, sourde menace. Il a répondu : "De toute façon moi j’m’imagine nul-part." Il a dit ça avec gravité. Il a dit ça dans la résignation à vivre les années qui lui restent. Dans la résignation à souffrir. Il a dit ça avec la gravité et l’absence aussi, toute particulière des gens qui se foutent de continuer vivre.
Et ça m’a fait tellement peur. Les pulsions de mort que je vois chez lui me terrorisent. Et m’empêchent d’être tranquille, et sereine. M’empêchent d’imaginer une avenir heureux, dans lequel papa rira avec ses petits enfants (mes enfants) et les emmènera quelque part en voiture, comme au Puy du Fou....
Pourquoi il fait ça ? Pourquoi ? Pourquoi ?
Pourquoi ça me tue comme ça ?
Pourquoi, je le sens bien, il attend de mourir ?
Malgré Françoise, malgré le vente de la maison (qui pourrait laisser croire à un renouveau, une envie de "Nouveau départ")

Je déteste ça. C’est injuste qui endure ça. Il mérite d’être heureux et de vivre l’hiver de sa vie dans la plénitude. Il a 61 ans...
Ce n’est pas lui qui est mort. C’est maman. Il n’a pas le droit de s’infliger ça. Et de M’infliger ça. Cette angoisse, cette peur de le voir s’enfoncer dans la résignation, dans la non-vie, dans l’attente de la mort. Je suis tellement triste pour lui. Je voudrais tellement qu’il ai goût à vivre. Qu’il arrête ses pulsion de mort, enfin. Il croit que je ne le vois pas, il crois que je ne m’en doute pas. Je le voie pourtant, au ton forcé et faussement rassurant, désinvolte, qu’il prends quand, paniquée sans le montrer, je lui demande ce qu’il entends par "De toute façon moi j’m’imagine nul-part." Je vois, je le vois bien, le mensonge qui masque l’inconsolable tristesse, la mélancolie maladive, l’attente.
Papa est un homme sombre, taciturne, secret, malheureux.
Pourquoi papa est comme ça ? Pourquoi on souffre ?
Je veux qu’il vive longtemps et heureux tant que faire se peut.
Mais lui ne le veut pas. Pourquoi ?
Comment faire pour changer ça ?
C’est bien pratique quand on me dit que je ne peux rien y changer. çA m’évite de trop m’investir. çA justifie mon impuissance.
Mais je me sens responsable, capable de changer ça.
Enfin je ne sais pas.

Il faut que papa s’en sorte

Papa m’a fait rire quand même. (son humour lui, est toujours là. Il est toujours très drôle). Quand j’ai dit, en parlant de mon travail, que je voulais voire autre chose, il a fait la même tête que Marlon Brando, dans Le Parrain, quand il apprends la mort de son fils Soni. Alors j’ai dit que quand je parlais d’autre chose, je ne parlais pas d’une autre nouvelle voie.... (hum, encore une!), mais d’une autre entreprise, parce-que Charme d’Orient ça commence à me sortir par tous les orifices.
J’ai dit ça pour le rassurer, parce-qu’au fond, je continue à penser que ma voie, c’est la protection des animaux!
Mais je ne veux pas le brusquer, il en a tellement vu avec moi et mon instabilité permanente. Enfin, ça, c’est une autre histoire.