Journal de fin de jeunesse

Une beauté particulière

Mardi soir, après une demi-heure étouffante dans le transilien Gare de Lyon-Melun, je descendais l’avenue Thiers pour me rendre chez moi.
Je marchais, sous la pluie qui pointait déjà, à travers les nuages gorgés d’eau quand soudain.. un jeune homme assez charmant (mais avec une drôle de tête quand même, je crois qu’il était roux un peu) m’a interpellé. Il m’a évidemment faite sursauter comme une grand-mère à qui on va voler d’une seconde à l’autre le sac à main bien fourni.
Mais je pense que mon sursaut très "old generation" à du me donner une certaine fraîcheur, car il a trouvé ça mignon (!).
Je n' étais particulièrement pas jolie mardi, malgré le maquillage exagérément rose qu’Ophélie avait réalisé sur mes paupières, chargées, fardées, pesantes, pressées de retrouver leur nudité libératrice.
Pourtant, lui, il ma trouvé jolie.

"Je n’ai pas pu m’empêcher de te remarquer dans le train" Il a dit.
Ce à quoi j’ai répondu, me pressant la main sur le thorax " Oh, vous m’avez fait peur!" (une vraie grand-mère).
Et, pour éclaircir ses premières paroles, il a dit, comme ça, que j’avais une beauté particulière. J’ai éclaté de rire, en demandant ce que c’était, au juste, une beauté particulière.
Il a avoué me trouver très jolie. Et j’ai pensé. Et là je pense encore. À cette phrase de Marguerite Duras. Cette phrase, comme une révélation, lue il y a des années. Cette phrase, comme ma révélation, ma définition. Cette phrase écrite toute entière pour moi. Celle que j’aurais du écrire moi. Arrivée comme un soulagement, il y a des années. Cette phrase là :

"Je pourrais me tromper, croire que je suis belle, parce-qu’on me regarde vraiment beaucoup (...) Mais moi je sais que ce n’est pas une question de beauté, mais d’autre chose; d’esprit. Ce que je veux paraître, je le paraît". M. Duras, L’Amant

C’est dingue comme elle perdure. Comme je la connais par coeur, comme elle ne s’est jamais éloigné de moi. Comme elle me colle, tous les jours. Tous les jours…

Alors, oui, le garçon un peu roux à dit ça. Et d’autres choses encore. Qu’il me trouvait très jolie, et que je dégageais quelque-chose de fort. Qu’on sentait, de très loin, une forte personnalité.
Alors, pour me sentir encore plus flattée, j’ai dit, innocemment : "Mais, je ne faisait que me tenir debout dans le train"...
Bien sur, il a répondu ce que je voulais entendre, réagit comme je m’y attendais (comme je l’attends toujours, dans ma séduction continuelle du monde qui m’entoure, dans ma séduction maîtrisée, fantômatique et flottante comme une fragance qui persiste). Il a répondu que c’était d’autant plus fort, que seulement en étant debout dans le train, j’arrive à dégager quelque-chose comme ça.
S’en ai suivi une petite conversation teinté de remarques spirituelles. Puis d’un échange de numéro. Lui allant dans une direction. Moi, dans une autre.

Pour une fois, je n’ai pas eu envie de lui donner un faux nom (Ana), un faux numéro(...). De dire un gros mensonge (je suis maquilleuse professionnelle) ou pire, de le casser (tu me déranges là, ou tu te rends ridicule là).
Non, rien de tout ça.

Alors on se voit demain soir. Autour d’un verre.
J’espère que ce n’est pas encore un gros naze.