Journal de fin de jeunesse

Un moment magique

Pour oublier Carlos (pour penser à lui, à lui à lui), je suis allé faire un grand tour dans la campagne.
Je me suis absenté de la maison presque 3h00.
J’ai passé un excellent après-midi.
Et surtout, j’ai vécu quelque-chose de magique. Aussi intense et tendre qu’un secret.

J’ai d’abord vadrouillé aux abords de deux maisons inoccupées. Elles étaient en contrebas de la route, absolument pas visible de celle-ci. Seul un panneau plus ou moins attaché à un poteau signalait leurs présence d’un " À LOUER" visiblement peu engageant...
La première chose que j’ai vu sont des ruines, des vestiges de vieux bâtiments style pigeonnier, moulin, grange à grain… C’était en pierre et très jolie. Recouverts de mousses, de lierres et d’une aura romantique très inspiratrice. Je suis descendu et j’ai découvert les deux vieilles maisons à louer. J’ai exploré les ruines, en ayant peur que, malgré tout, quelqu’un me voit des fenêtres des maisons. Je suis tombé sur une petite cascade d’eau qui faisait beaucoup de bruit.... Et un vieil atelier de je ne sais quoi, encombré de machines étranges et depuis longtemps inutilisées.
Puis, en m’approchant des maisons, j’ai constaté leur vacuité par les fenêtres. Vides, toutes les deux. Mais très tentantes.
Retrouvant mon âme d’enfant, et mon côté aventurière intrépide, je me suis mise en tête de les visiter.
Evidemment les portes étaient fermées. J’ai balancé des pierres sur les vitres, pour les casser et pouvoir pénétrer dans les maisons. Mais rien à faire. Il s’agissait de doubles vitrages, et les pierres se sont avérées inutiles, rebondissant mollement sur les vitres, dans un bruit de pétard assourdissant.
çA m’a déçu et agacé. Car dans les films, ou les livres, c’est toujours très facile, comme ça, de pénétrer une maison clause. Je pense que c’est parce-que dans les fictions, ils n’en sont pas encore aux doubles-vitrages…

Puis, je suis allé faire mon tour. Les sentiers de randonné que j’imaginais intéressant ne m’ont menés qu’à des propriétés privées… Alors, j’ai suivi un autre sentier. Pas annoncé. Il s’enfonçait dans la campagne, bordé de part et d’autres d’arbres assez grands qui m’isolaient. C’est ce que je recherchais, la solitude.
Cela faisait longtemps que je voulais m’enfoncer dans ce sentier. Chaque fois que je passais à côté en voiture, il m’attirait.
j’ai croisé des vaches, très mignonnes. Belles même. Je me suis approché, en m’avançant dans un champs avec un bâton que je frappait fort sur le sol pour faire fuir les serpents. Accoudée à l’enclos, j’ai devisé avec elles. Je leur ai dis que je ne les mangeais plus et qu’elles pouvaient avoir confiance en moi. Mais elles ne se sont pas approchées pour autant.
J’ai continué mon chemin....
Croisé des moutons avec qui j’ai eu le même type de conversation. Mais eux (enfin elles car il s’agit surtout de brebis que l’on voit dans les champs), m’ont carrément fuit.
Cela faisait presque deux heures que j’avais quitté la maison. Quand, par delà les moutons, j’ai aperçu des bois. Enfin. Je cherchai par dessus tout une forêt. Je suis amoureuse de la forêt...
En m’approchant, j’ai vu que c’était un espace clos. Une forêt privée. Celle-ci se trouvait, en plus, directement au milieu d’un champs de moutons (je dis moutons à en juger par la taille des crottes, car il ne se trouvait pas de ce côté du pâturage à ce moment là).
J’ai vérifié en posant mon doigt dessus que la barrière n’était pas électrifiée. Puis je l’ai sauté. Isolé comme ça l’était, personne ne pouvait me voire. J’ai pratiquement couru jusqu’aux bois cependant.
C’était un tapis de feuilles mortes, de grands arbres, et de nids à serpent.
J’ai marché, en avant. Et je me suis dis que, même sans but, nous les animaux, nous allons toujours vers l’avant. Jamais vers l’arrière. Je marchais en suivant les endroits les plus praticables, sans savoir ce que j’attendais de voir. Sans savoir rien.
J’ai passé un grand arbre déraciné. Me suis enfoncé toujours plus profond. Bien évidemment sans me repérer....
Je me suis arrêté pour profiter de la brise, des oiseaux, des craquements. En songeant, aussi, que si je voulais être discrète c’était raté, car je faisait le même bruit qu’un éléphant.
Quand soudain......

Un bruit. Un bruit qui m’a fait sursauté. Un bruit trop net, trop fort, pour être celui d’un oiseau. Je me suis dis que j’étais grillée, qu’un homme m’avais vu. Que j’allais me faire salement engueuler. Malmener peut-être. Le propriétaire du terrain, à coup sure!
Je me suis tourné vers le bruit, angoissée. J’ai vu cette grande masse, confirmant mes craintes que je n’étais pas la seule présence humaine ici....
Et j’ai bien vu. Un cerf.À quelques mètres de moi. Un jeune cerf, avec de beaux bois qui me fuyait en bondissant et s’évaporait dans les fougères.
Je suis resté bouche bée. Emerveillée. Enchantée. Et privilégiée.
J’ai été heureuse. Chanceuse. Privilégiée. Comme détentrice d’un secret. Comme plus proche de moi que je ne l’avais jamais été. Comme revenue aux temps des fées. Comme perdue dans l’enfance. Attardée dans un songe.
ÉMERVEILLÉE.

Puis, j’ai pensé qu’il y avait peut-être aussi des sangliers et me suis montré plus prudente.

En rebroussant chemin, j’ai marché sur la tanière d’un serpent. Je l’ai senti, deviné, plus que vu. Se mouvant, marron, presque sous mes pieds. J’ai du faire un bon de trois mètres. Et un cri de folle.
J’ai eu du mal a retrouver mon chemin. J’ai pourtant repéré le grand arbre déraciné mais; je suis sorti des bois à l’opposé d’où j’étais rentrée.

Plus tard, en redescendant, je me suis assise sur le sentier à l’ombre d’un arbre haut. Le vent s’y engouffrait et me berçait la peau et les cheveux. C’était un délice.
Tout a son importance. Dans ce bol d’air qui m’a dégrisée. Rendue l’énergie que j’avais égaré. Revivifiée.

Et puis il y a eu la course des moutons et le fracas de leurs sabots. Pour rejoindre leur point d’eau. Et puis leur course en sens inverse, quand ils m’ont vu qui me cachait pour les observer boire et qu’ils ont paniqué.
Et puis je me suis assise au bord du lac.

Et puis.....