Journal de fin de jeunesse

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A chaque fois que je voyais passer une Fiat Punto verte, ça me crevait le coeur.

La voiture de maman.

A chaque fois que j’en voyais passer une, je regardais, le coeur battant, la plaque d’immatriculation. Mais c’était jamais la sienne… Et toujours, je me demandais ce que ça me ferait. De voir passer la sienne. Elle s’en était débarrassé, peu de temps avant sa mort en fait. Depuis tout ce temps, j’ai pensé qu’elle était partie à la casse. Pourtant, étrangement, j’attendais de la voire passer la Fiat. Fébrilement. Comme pour m’assurer qu’elle existait vraiment, cette voiture.
Comme pour m’assurer que maman avait bien existé, et conduit la petite Fiat verte. Avec ou sans moi à ses côtés. Cette petite Fiat verte où j’ai tant de souvenirs au kilomètre.

Et puis, tout à l’heure. Je rentrais, plutôt satisfaite de mon examen de pratique. Je marchais dans l’avenue Thiers. Savourant la délivrance. Est alors apparu une petite Fiat Punto verte. Encore une.

Machinalement, j’ai jeté un oeil sur la plaque d’immatriculation. Et je l’ai vu. Écrit. En gros. (enfin.). Je l’ai vu comme surgit de mon imagination. Comme une apparition provocante. Comme un défi lancé. Comme un cri d’existence. Comme un appel à l’amour, au pardon, à l’acceptation. Je l’ai vu écrit, grotesque presque, de tant de réalisme. Brut. Sans brume enveloppante. Sans voix d’outre -tombe. Sans lumière divine.
Juste écrit. Brutalement. Noir sur Jaune. Comme avant. Comme tout le temps. Comme avec elle. Comme d’habitude. Comme j’avais l’habitude de le voir écrit, sans y prêter attention.

Je l’ai vu : CDP

Ces 3 lettres que j’attendais sans attendre. De voir. De (re)lire. Espérant trouver dans cette brève lecture un quelconque apaisement. Espérant retrouver quoi dans cette brève lecture ?

J’ai regardé la voiture de ma maman rouler devant moi. M’apportant je ne sais quelle réponse à je ne sais quelle question. Il y avait un A de apprenti collé sur la vitre arrière (ou le pare-choc je ne sais plus.)
J’ai regardé la voiture de ma maman. Bouleversée de ne pas ressentir la douleur que j’imaginais.
Et quelque-chose d’étrange est arrivé. La voiture de maman a disparu. Elle s’est effacée. J’ai du baisser les yeux un instant. Quand je les ai relevés, j’ai cherché ma voiture. Elle était la dernière de la file auparavant. Une seconde s’était écoulé. Il n’était pas possible de tourner ni à droite ni à gauche. La voiture de maman aurait du se tenir toujours à portée de mes yeux. Mais.
Elle n’était plus dans la file.

J’ai regardé loin. J’ai cherché de tous les côtés. La voiture de maman n’était plus là. Evaporée.
çA a été comme un apparition. Je n’arrive toujours pas à comprendre.
J’ai appelé papa, pour lui demander ce qu’il était advenu de cette voiture. Il m’a dit qu’ils l’avaient vendu. Que jamais elle n’était partie à la casse.....
Vendue.
Vendue.
Toujours là. Toujours en circulation.

J’ai appelé Sonia, en pleurs. J’ai appelé Fanny, en pleurs. j’ai appelé Séverine, en pleurs (surtout qu’elle aussi a perdu sa maman).
Elles m’ont dit que des souvenirs, il y en auraient toujours.
J’ai dis que j’étais toute seule et que c’était dur.

C’était tout à l’heure. Et là, je repense à l’apparition fugace de la voiture de maman. Comme un fantôme. Comme une chimêre. Comme un souvenir. Comme le passé. (le passé, ce que ça peut faire froidement mal ce mot, comme un scalpel qui tombe durement sur un lit en acier).
Et je me dis que c’est beau. Que, peut-être, c’était un signe d’elle. Pour me faire savoir qu’elle est toujours là. À mes côtés. Qu’elle n’a pas disparu. Qu’elle me regarde. Qu’elle est fière de moi. Et contente que mes examens se soient bien passés aujourd’hui.
Un signe de sa part. Un petit coucou. Pour me rappeler que la mort n’est rien....

Maman. Je crois que c’était une belle chose l’apparition de la voiture. J’espère que oui. J’espère que c’est simplement maman qui me dit bonjour. Qui me met au défi de la croire disparue.

CDP. J’attendais de les voir. Ces 3 lettres. Sans savoir.
Finalement c’est arrivé.