Journal de fin de jeunesse

Paris

Paris. J’ai le cafard.

Paris, pourtant. Mais : j’ai le cafard.

Inexplicable cafard. Insecte vicieux que je n’arrive pas à écraser.

Je suis dans mon nouvel appartement. Et, mis-à-part le sani-broyeur qui constitue le maillon faible dudit appartement, il est parfait pour moi.
Très clair et lumineux. Calme...
Mais je me sens mal. Terriblement mal. Cafardeuse. Angoissée. Sans vie. Isolée du reste de la vie.
Hier, j’en ai parlé à ma psy. Elle a dit que chez les gens compliqués, il arrive parfois qu’après des tas de bonnes nouvelles ou des tas de réussites, il y ai une chute du moral. Un état dépressif qui ne dure pas.
Oui, j’ai eu mon diplôme d’esthéticienne aussi....
Alors, j’espère qu’elle a raison. Et j’espère que ça va s’arrêter.
Parce-que si ce n’est pas pour cette raison là, c’est lié à mon traitement pour la chute des cheveux. Et c’est autrement plus problématique.

Je n’arrive même plus à écrire. Ces derniers jours, il est arrivé tout un tas de choses. Et je voulais écrire. J’imaginais. J’écrivais dans ma tête, déjà, tout ce que j’allais dire.
Mais rien. Les pages sont restées vierges. J’ai perdu du temps. J’ai perdu des tas de choses. Et beaucoup de mot, d’idées, de pensées. Qui ne reviendront plus maintenant.
Je m’en veux. Et ce manquement à l’écriture, au devoir d’écrire, ça m’angoisse encore plus.
Et ça me fait bien sentir que je suis vraiment dénuée de talent, de sensibilité, d’imagination. Et d’assiduité. Et de passion. Je n’ai rien. Aucun avenir dans l’écriture.
çA me rend tellement triste.
De penser que je suis une ratée. Une fille banale. Qui n’a rien de singulier. Qui ne recèle aucun talent caché. Aucun courage véritable. Aucune histoire intéressante. Aucun grain de folie. Ni aucune passion assez forte pour occulter tout le reste. Et me pousser à me battre pour elle.
Tout ça; tout ce que je voudrais être. Tout ce que je ne suis pas. Ne serais jamais.
Je suis comme tout le monde. Sauf que je le sais.

Et pourtant tout devrait aller bien maintenant. Aller mieux.

On a fait le déménagement mardi. Papa a loué une camionnette. D., mon cher ami et ex-voisin nous a aidé, ainsi qu’un ami à lui, Jeff.( Ce dernier a craqué pour moi. Vraiment beaucoup. Ce qui me met dans une situation un peu délicate, étant donné que ce n’est pas réciproque.)
Il y avait, aussi, Guillaume le fils de Françoise, et un ami à lui.
Tous ces hommes pour moi!
çA a été très vite. Après, papa nous a tous invité au restaurant indien.
Car oui, il n’y a que ça dans mon nouveau quartier; des commerces indiens. Et, dans les commerces, et dans les rues, il n’y a que des Indiens.
Si bien que dés que je descends dans la rue, j’ai l’impression d’être en voyage à Bombay ou à New Delhi. Il y a tout, même les odeurs.

Le soir même de mon installation, je suis allé au théâtre avec Maly voir la maquette d’une pièce où joue Lara. La Recrue, ça s’appelle.
J’ai adoré. J’ai passé un moment lumineux.
La pièce m’a énormément parlé. Et pour cause. Elle traitait du conformisme. Elle traitait de la perte de soi-même, indissociable de l’intégration dans le monde du travail. De l’intégration dans la société économique actuelle. Elle parlait de ça oui. Du renoncement à soi-même et à ses rêves. Du renoncement à ses aspirations et à ses idéaux. Du renoncement à son projet de vie au profit d’un modèle imposé. Au profit d’un modèle dicté par l’économie...
Je me suis reconnue dans le personnage de la recrue. Cette jeune femme qui rêvait de faire le tour du monde à la rescousse des animaux blessés. Cette jeune femme qui rêvait, ensuite, de s’engager dans la politique par altruisme. Cette jeune femme qui tout comte fait s’est résigné à faire de l’accueil. Pour pouvoir manger. Payer son loyer. Pour pouvoir s’intégrer. Pour coller au modèle, exécré, de la consommatrice louable. Cette jeune femme qui s’est résigné car, à vouloir être elle-même et revendiquer qui elle est, elle serait devenue une paria.
On la suivait dans sa quête d’intégration. La pièce tournait autour d’un entretien d’embauche. Avec son lot de questions toutes plus absurdes et hypocrites les unes que les autres.
Là encore, je me suis vu à sa place. Prétextant que, vraiment, j’adooooooore faire de la cabine, faire des soins du visage ect.
Alors que bien au fond de moi, j’ai juste envie de répondre que j’ai besoin d’argent, car ce que j’adore, c’est partir loin et me perdre dans la nature sauvage, et dans des cultures magnifiques.
Une scène m’a fait froid dans le dos. M’a mis en face de ma vérité. Celle où la jeune femme saute et saute sur un trampoline, en répétant à tue-tête que : l’accueil c’est génial, l’accueil c’est génial, l’accueil c’est génial!
Oui, vraiment une belle pièce. Lara a de la chance. Et elle est radieuse quand elle est dans son élément; le théâtre. D’ailleurs, je me suis un peu énervée sur Maly quand elle m’a, encore une fois, fait remarquer la maigreur de Lara. (Comme si j’ignorais son anorexie alors que ça fait plus de 10 ans que c’est mon amie.) Je lui ai dis qu’elle arrête avec ça, que Lara, ce n’était pas qu’une fille maigre, c’était bien plus que ça!!!!
Une belle pièce c’était. Avec un texte très intelligent. Très parlant. Et je crois, très parlant surtout pour les gens de ma génération.
D’ailleurs, Lara vient de me l’envoyer par mail...
Une phrase, la dernière de la maquette que avons vu, m’a bouleversé. Elle est resté planté comme un poignard dans mon estomac, elle ne me quitte plus.

"Renoncer à ses rêves ou apprendre à mentir."

Le soir d’avant la pièce de Lara, je suis allé au concert d’Agnes Obel. C’était magnifique. C’est le cadeau d’anniversaire que m’a offert Sev.
Mais ce concert tellement particulier mérite un article à lui tout seul. Je l’écrirais donc demain.

Avant-hier, je faisais des achats pour la décoration de mon studio. À Châtelet d’ailleurs, tout près de chez Maly. Et au MK2 de Beaubourg, j’ai vu qu’ils jouaient La Dernière Piste, de Kelly Reichardt. Je mourais d’envie d’aller le voir depuis que j’avais lu un article dessus.
Je me suis régalé. C’est un western très poétique. Au scénario évanescent. Le plus simple et le plus dépouillé possible. Il reste des images d’une profondeur à manquer d’air. Et une bande son fourmillante. On entend tout. Absolument chaque détail sonore. Tout est précis. Et ce son, si frappant, si véritable, si présent tout le long du film m’a fait renouer avec le monde extérieure. M’a fait prendre conscience de la richesse musical que recèle le monde. C’est comme un message. Comme si la réalisatrice voulait nous apprendre à ré-entendre, nous qui n’écoutons plus rien.
Un très beau film.

Hier soir, Maly m’a invité à la diffusion presse d’un film d’animation qui sortira en octobre prochain. çA s’appelle Un monstre à Paris, et c’est vraiment chouette. Je me suis bien amusé. C’est un vrai plaisir pour les yeux, le graphisme est très attirant. Un peu BD.
Mais chuuuuut. C’est top-secret. Le film n’est pas encore sorti.
Comme Maly est journaliste en free-lance, elle est toujours envoyé sur tout un tas d’événement intéressant. Maintenant que je suis sur Paris, je compte bien profiter plus de ses invitations.

Samedi dernier, j’étais à la fête (très réussie) de Sophie ma cousine et son mec Tanguy. Le thème c’était Miami Vice. çA ne me parlait pas trop, du coup, j’ai mis un pantalon léopard et un débardeur rose hyper-décolleté. J’avais vu assez juste. Mais pas complètement.
J’ai rencontré un mec.
Là il est en déplacement. Il m’a dit que la semaine prochaine; il serait disponible pour qu’on se voit.
On verra bien.

Voilà. çA c’est Paris. Il est clair que tout devrait aller bien. Et pourtant....