Journal de fin de jeunesse

Un Ouragan (nommé Pas d'Chance)

Aujourd’hui c’était mon premier jour de travail chez Annick Goutal.

J’aurais du commencer mardi mais: il y a eu l’Ouragan.

Un ouragan, comme un autre. Comme tous les autres.
Mais aussi : l’ouragan symbole de mon manque de chance. De ma poisse habituel. De ce "je ne sais quoi" qui fait que jamais, jamais rien ne peut se passer normalement avec moi.

Normalement, ça aurait été : Quitter le sanctuaire (le Wildlife Survival Sanctuary) dimanche matin. Dire aurevoire à tous ces magnifiques animaux avec lesquels j’ai eu la chance de travailler. Arriver 2h00 à l’avance à l’aéroport de Tampa. M’envoler pour New-York où j’avais mon escale. Puis, m’envoler, la mort dans l’âme, pour Paris.
Atterrir le lundi matin. Et enfin, commencer mon alternance le mardi. Le 30, donc.
Le 30, car c’est ainsi que c’est stipulé sur mon contrat.

Et malgré toute cette organisation. Cette planification à la minute près. Malgré la prévoyance dont j’ai fait preuve dans tous les détails pour honorer mon contrat en temps et en heure. Malgré cette prévoyance que je déteste, et qui m’arrachait à mes douces vacances. À mon exotique voyage. À mes rencontres sauvages. Et à mes étreintes inattendues (si si). Malgré ça, cette prévoyance contre-nature, contre ma nature, il y a eu un ouragan.

Irene ils l’ont appelés.
Au début (il n’y a même pas une semaine je crois), j’ai vaguement entendu parler de la chose. Je n’y ai pas prêté attention. J’ai, très évasivement, pensé que c’était étrange que comme par hasard, au moment où j’étais en Floride, un ouragan allait sévir non loin de moi.... Ou quelque-chose comme ça. Et rien d’autre. L’idée a disparu. S’est fondu dans le paysage humide et étouffant, parmi les cyprès géants. Et parmi les regards indifférents des félins avec qui je cohabitaient.
Puis, le samedi. J’ai vite compris que la chose devenait sérieuse. Avec M., ma camarade volontaire là bas, nous sommes allées vérifier l’état de mon vol.
C’est avec horreur que j’ai lu : CANCELLED.

J’ai d’abord été en colère. Dépitée. Poisseuse. En colère contre, ai-je pensé, ces choses qui ne m’arrivent qu’à moi. Dépitée, voire résignée et cynique face à ce manque de chance auquel je me suis habituée. Cette ironie qui vient me chatouiller le menton à chaque fois. À chaque fois que tout à l’air de bien s’enchaîner. S’emboîter. Cette petite chose qui vient se glisser dans les rouages, pourtant si bien graissés, des événements de ma vie, et qui vient tout faire foirer.
C’était ça l’Ouragan. Egoïstement, ça. Egoïstement. Pour moi seule; mon ouragan, mon "fait-précipice". La petite chose de ma perdition. Ou du moins cette fois, la petite chose de la fin de ma crédibilité professionnelle.
Alors j’ai appelé mon entreprise. Désolée mais impuissante. Mais une futur collègue m’a stupidement fait comprendre que " Ah bah oui mais on comptait vraiment sur voueeeeuuuuu....."
J’étais ravie. Je lui ai dis que, vraiment là, non mais sérieusement, je n’y pouvais rien....

J’ai finalement réussie à me rassurer. Grâce aux messages, rassurants donc, de mon père et de Sonia. Et aussi au soutien de M.

Et c’est alors que j’ai pensé à Melancholia.
Le film de Lars Von Trier. Celui que j’avais vu juste la veille de mon départ.
Celui qui m’avait salement touché. Et violemment traumatisé. Comme une peur soudainement accomplie.
Enfin, à ce film là. À ce film de fin du monde. Et de filles dépressives, angoissées et toquées.
J’ai vu dans ce film comme un signe. Une prémonition. Une coïncidence trop vive. J’ai vu dans le fait d’avoir vu ce film avant mon départ un avertissement.
En sortant du cinéma déjà, nauséeuse, j’en avais eu l’intuition; ce film n’augurait rien de bon pour moi et mon voyage.

Et; l’Ouragan est arrivé. Et les États-Unis ont donné cet ouragan des airs de Fin du Monde; "un ouragan historique", "du jamais-vu"....
Et c’est pour ça que j’ai eu peur. Et que j’ai pensée au film. Et aux deux filles torturées (celles qui me ressemblaient) qui meurt. Dans les flammes. La tempête. Dans la terreur dont nul ne peut réchapper. Cette terreur là. cette tempête là. Cet ouragan là. Terrible, comme ils disaient.

L’Ouragan était loin. Mais le samedi soir, on pouvait le sentir. L’air était chaud et métallique. Et violent. Avec un goût de métal glacé. La lumière aussi, métallique. Et électrique aussi. Dans un perpétuel duel. L’air me caressait tout le corps et le visage, comme un fouet prêt à claquer.
J’ai voulu voire si, tout à coup, l’air allait devenir très violent. Allait me faire tomber. Me faire peur encore plus. Me faire presque voler.
Mais rien.

Les animaux étaient comme agités, un peu. Mais ça, peut-être, je l’ai imaginé.

Et tout s’est calmé. Dans moi aussi, calmée.

Ils me manquent.
J’ai côtoyé là bas des animaux fantastiques. Chacun un personnage. Avec sa personnalité. Son regard. Sa façon de me sentir. Ou de m’ignorer. Ou de me craindre.
Deux tigres. Deux pumas. Trois léopards. Un serval. Et, très amusant, un hybride de lynx et de chat Bengal dans un enclos avec un chat domestique.
Chacun un vrai phénomène. Une vraie âme.

Et j’ai du quitter toute cette beauté. Toute cette vie. Pour m’engager dans ce BTS dans lequel je ne crois plus. Qui m’emmerde. Et pour les deux prochaines années.
J’ai l’impression d’être une vraie arnaque. Un superbe imposteur.
Et même si ma première journée ne s’est pas mal passée, ce n’est pas moi. Pas ce que je veux. Pas ce à quoi j’aspire.

Lien vers le sanctuaire:
http://www.wildlifesurvival.com/index.htm