Journal de fin de jeunesse

Le maître nageur

J’ai perdu ma bague à la piscine. En plein pendant; le cours d’aqua-biking.
Le cours d’aqua-biking qui est, forcément, animé par le superbe maître nageur. Un peu trop beau, je trouve. Un peu trop scandaleusement attirant pour : être autorisé à me voir en mode baleine suffocante, rouge sous l’effort (je le sens, que je deviens ridiculement rouge.) Un peu trop troublant pour, durant presque une heure, assister à ça. À moi qui dégringole de l’échelle de la classe et de l’élégance.

Je nageais assez paisiblement en attendant le début du cours. Quand soudain, je l’ai vu qui arrivait.
J’ai levé la tête. Il marchait à l’étage dans le corridor ouvert qui donne sur les anciennes cabines de la piscine Pailleron. Il se dirigeait vers l’une des cabines.
J’ai prié, intérieurement, pour que ce ne soit pas lui qui anime le cours. Pour ce ne soit pas lui qui assiste à ma déchéance. À l’humiliation régulière du cours d’aqua-biking. Où je me démène dans l’eau, avec, sûrement, l’élégance d’un morse qui tente d’échapper à un ours polaire. Prié, encore, pour que ce ne soit pas lui qui soit témoin de la disparition curieuse et hebdomadaire de ma dignité;
Les jeudis, alors que je me rends bravement à mon cours de sport. Alors que je pédale dans l’eau avec l’ardeur d’un italien dopé gravissant l’ultime col qui le mènera au maillot jaune. Alors que fais du sport, ma dignité en profite pour se faire la belle. Elle s’évapore, s’enfuit dans quelque refuge secret connue d’elle seule. Et me laisse. Nue. Ridicule. Rouge et avec un bonnet de bain sur la tête.
Et c’est à cet instant précis que le maître nageur pose les yeux sur moi.
Le maître nageur que, ce soir, je regardais arriver et se diriger vers les cabines.
Je n’arrivais pas à en détacher les yeux. Même si ma nuque en pâtissait.
Et c’est à cet instant qu’il a fait quelque-chose des plus affolants:
Au lieu d’aller dans la cabine et d’en fermer la porte pour se changer, il s’est mis face au bassin. Puis, il a (faussement) négligemment retiré son t-shirt....

...


Je me suis mise à sourire stupidement. Ce que je fais, bien involontairement, dés que je trouve un homme très attirant. Le sourire me vient. C’est nerveux je crois. Parce-que, vraiment, je ne fais pas exprès de sourire comme ça. J’ai le visage qui chauffe au niveau des commissures. Comme une chatouille. Et invariablement, ma bouche répond à ce stimulus par un sourire.
Et c’est ce qui s’est passé. Je me suis mise à sourire comme ça.
Et comme j’essayais, par tous les moyens, de ne pas l’admi… le regarder, mes yeux se sont posés sur une fille.
À qui j’ai souris. Stupidement.

Finalement, c’est bien lui qui a donné le cours.

Avant j’y allais le jeudi matin, et c’était une jeune femme qui les donnais.
Je ne sais pas si y retourner le matin (et payer l’entrée 1,80 euros étant donné que la piscine est fermé au public à ce moment là), ou si y retourner le soir, ne pas payer, mais être humiliée devant un homme que je me taperais bien dans tous les sens.
C’est un problème qu’il va m’être cruel de résoudre. Cruel oui, car le jeudi matin, le maître nageur n’est pas là.

Ah. Je suis pathétique.

Mais le sport, ça m’a bien calmé. (Même si maintenant lefilsdeputed’endessous fait chier avec sa putain de télé de merde.)
Parce-que je suis très stressée. De plus en plus.
À pleurer pour rien. Comme mardi dernier parce-que je n’avais pas encore été payé alors que le virement était fait depuis une semaine.
D’ailleurs, en parlant de ça, il s’est avéré qu’ils s’étaient planté en rentrant mes coordonnées bancaires, que le virement n’était pas passé mais que personne personne n’avait rien signalé à la société.... Je pouvais l’attendre mon salaire. Encore une preuve parlante de mon manque de chance habituelle.
Audrey dit, à ce propos, qu’au fond je suis une fausse malchanceuse. Je lui ai répondu que non. Qu’en y regardant bien, je suis une fausse chanceuse. Ce qui est bien plus juste : l’appartement de mes rêves< le voisin/les vacances de mes rêves< l’ouragan/ le taff que je voulais <l’erreur avec le paiement de mon salaire.........

Alors, bien sur que oui. Je suis stressée. Avec ces cheveux tellement moches. Je suis débordée par les devoirs, les contrôles, les dossiers.... Je ne sais pas si je vais m’en sortir. Tout ce que j’ai appris aujourd’hui, je sens bien que je l’ai déjà oublié.

Et puis j’ai perdu ma bague. Dans l’eau. Dans l’eau mouvementé par tous les vélos en mouvement.
Je suis sortie du cours. Résigné.
J’ai jeté un dernier regard à la piscine. Et je me suis dis "NON". Je me suis dis que j’allais y retourner et que j’allais la retrouver. Je me suis dis que ça allait bien comme ça. Pas ma bague, celle qui remplace l’autre, offerte par maman...
Je suis redescendu dans la piscine. Sans les vélos pour se repérer, j’ai essayé de retrouver l’endroit où je me trouvais pendant la séance.
Puis : j’ai fais travailler mes yeux. Très fort.
J’ai été très surprise de constater que l’on peut faire travailler ses yeux, les faire se contracter sous l’effort comme un muscle.
Je forçais mes yeux à être plus performants. Comme si je voulais qu’il en sorte un rayon laser et que cela demandait beaucoup de concentration.
Et alors, je l’ai vu : ma bague. Toute seule sous l’eau. Abandonnée. Comme un animal piégé. çA m’a fait mal au coeur. çA m’a rendu triste; cette image d’abandon.
J’ai plongé. Mais impossible de la rattraper : je remontais tout le temps à la surface. Je dois être pleine d’air.
J’ai rééssayé trois fois. Me sentant totalement ridicule (avec en prime le maître nageur qui a jeté un oeil dans ma direction) j’ai fais appel à une nageuse.
J’ai eu du mal à retrouver ma bague pour lui montrer où plonger. Mais une fois repérée, j’ai posé mon pied à côté. La fille me l’a remonté.