Journal de fin de jeunesse

L'ex amant

Horreur.

J’ai croisé Claudio en allant à la piscine ce soir. Tout à l’heure. Quelques instants avant ça, je pensais à lui. Je pensais à l’éventualité de le croiser par ici. Ce quartier où il travaillait quand nous étions amants. Ce quartier où je me demande s’il travaille encore…

Et puis, comme pour me confirmer qu’il travaille toujours ici. Je l’ai croisé. Avec son éternel bonnet.
Mon coeur a fait un bond. Un petit bond. Parce-que je ne ressens plus rien pour lui, autre que de l’indifférence et du dégoût.
Je me souviens qu’il me harcelait encore jusqu’à cet été.
Je l’ai croisé. Frôlé même. Il ne m’a pas vu. Absorbé dans sa conversation. Moi je l’ai bien vu.

C’est quand même étrange de penser que l’on va croiser quelqu’un. Et puis de le croiser.
Mais ça m’arrive assez régulièrement. Je ne me l’explique pas.
Et, encore plus étrange de croiser, dans l’indifférence total, un corps auquel on a tout donné. Avec lequel on s’est livré à toutes les perversions possibles et imaginables, dans les endroits les plus inattendus.
Un corps qu’on a désiré. Dans la folie de ce désir là. Insatiable. Douloureux. Jaloux.
Un corps sur lequel on s’est reposé (un peu...). Sur lequel on s’est frotté jusqu’à le rendre brûlant.
Un corps qui nous a excité, carressé. Un corps sur lequel on a jouit.
Ce corps là. Le croiser. Le frôler dans la rue. Comme n’importe quel autre corps.

Ma vie d’avant était merveilleuse. Elle était folie, passion. Elle était charnelle et pleine de tourments.
Maintenant je m’ennuie. Rien n’est comme avant.

Ce soir à la piscine. Je nageais médiocrement. Un homme n’arrêtais pas de me regarder. Je me suis demandé ce qui lui arrivait.
Je suis sortie de la piscine de natation pour aller dans l’eau chaude du bassin de détente.
Je me suis sentie horriblement seule. Cet homme, jeune, est arrivé vers moi. Il s’est penché tout près de moi.
Et me l’a dit. M’a dit, comme ça : "Il fallait que je vous le dise, sinon j’allais le regretter. Vous êtes belle. Je veux dire, même dans l’eau vous êtes belle. Dans l’eau, on ne triche pas avec le maquillage. Dans l’eau on a un bonnet de bain.... Mais pourtant vous êtes belle. Même comme ça. Extérieurement vous êtes très belle."

(J’ai pensé, très fort, à Marguerite Duras).

Pour ne pas lui faire de peine, j’ai dis que j’étais prise quand il me l’a demandé.
Et c’était horrible. Je me suis sentie encore plus affreusement seule. Seule. Dans l’eau. Dans la nuit qui tombait. Seule encore, quand plus tard, j’allais en sortir.

J’ai même eu envie de rappeler Claudio. Mais j’ai vu que je n’avais plus son numéro. (et je me suis sentie seule et bête)

La seule chose de bien, c’est que j’ai bossé comme une folle. Je me suis détruit les yeux devant mon ordinateur. Mais : mon dossier est fini et imprimé.
J’ai pris des livres aussi à la bibliothèque. J’ai pris La guerre des Mondes et deux livres de Jim Harisson, écrivain des grandes plaines et des Indiens du passé. J’ai un besoin vital de ces livres là, qui me transportent loin dans la nature sauvage et dans l’essentiel.