Journal de fin de jeunesse

Pourquoi la première crêpe est-elle toujours ratée???

Je suis arrêtée encore jusqu’à mardi soir.
Je reprendrais le travail doucement mercredi. De 16h à 19h.

Je suis très angoissée, de manquer encore les cours.
Les partiels du second trimestre commencent le 20 février; les oraux et la pratique.
Je culpabilise. Car : il y a une amélioration notable depuis aujourd’hui dans l’état de mes côtes. La douleur a diminué. Je suis moins gênée. Je me sens plus mobile...
Donc, en prenant sur moi et en serrant les dents, je pourrais retourner à l’école.
Mais. Aussi. Je suis épuisée. Et stressée.
Je réalise que j’ai presque une semaine d’arrêt derrière moi déjà (je suis en arrêt depuis lundi soir). Et pourtant je n’ai pas réussi à réellement me reposer. À décompresser.
Toujours en train de penser à quelque-chose. Jamais la tête vide et légère.
Ce à quoi je pense le plus, c’est au travail.
J’imagine la misère qu’elles vont me faire quand je vais revenir. Je ne sais pas. Je suis paranoïaque peut-être.

Mais ce que j’imagine. Tout le temps. En permanence. C’est :

Qu’elles se disent entre elles que vraiment je n’en loupe pas une. Que c’est limite si je ne l’ai pas fait exprès, d’avoir la côte fêlée. Qu’en plus d’être étourdie, "à l’ouest" et dans la Lune, je suis une petite nature.

'J’imagine, aussi. Je m’imagine. Que :

la patronne regrette que ce soit moi qui ait été recruté par le siège pour faire mes deux ans d’alternance dans sa boutique. Qu’elle aurait préférée une jeune femme différente, plus affirmée, qui ne fait pas autant d’étourderies, à qui l’on doit moins "tirer les vers du nez" et qui ne renverse pas d’huile essentielle sur le parquet de la cabine.
Qu’elle aurait préférée une jeune femme qui ne soit pas comme moi.
Pas comme moi.
Pas comme cette Anne là.


Je ne m’explique pas. Vraiment, je ne me l’explique pas; pourquoi toutes ces remarques dans le cadre de mon travail me touchent autant. Pourquoi je prends tout ça tant à coeur.
Pourquoi, non plus, je n’arrive pas à ouvrir plus ma gueule ? Pourquoi je suis si discrète. Pourquoi je suis si peu contrariante. Et pourtant, pourquoi je reçois avec autant de stress et d’angoisse, avec autant de fatalité les remarques négatives que l’on me fait. Tout ça, je ne me l’explique pas.

J’en parlais avec F., le comédien très beau, vendredi soir.
(Oui, on se plaît trop. Alors on n’a pas réussi à se dire aurevoir. Ni rien.
Trop attirés. Inexplicablement. Il est re-rentré dans ma vie. Il s’est dit être obsédé par moi, malgré tout. Et je lui ai répondu la même chose.
Alors, vendredi soir, il est venu. On a discuté.
J’ai rigolé, en ayant mal à la côte, et en lui crachant à la figure qu’au moins maintenant j’avais une bonne raison pour qu’on attende de.....
Il m’a répondu : "Sale gosse!")
J’en parlais avec lui.
Je lui demandais si, à son avis, c’est dans le travail qu’on se révèle et qu’on révèle notre vrai caractère. Ou alors si justement au travail on ne peut pas être nous-mêmes, on est trop aliénés, et trop souvent sous pression.

Il a affirmé qu’on ne pouvait pas être soi-même au travail.

J’espère qu’il a raison. Parce-que sinon, au vue de mon comportement au travail, je serais en fin de compte une fille dénuée de caractère. Faible. Qui s’écrase...
Et dans la vie. Dans la vie, vraiment, je ne suis pas ainsi. Je suis plutôt une forte tête. Je parle quand il le faut. çA sort tout seul d’ailleurs, quand il le faut. Je n’ai pas à me forcer. Ou, à réfléchir à ce qui va sortir. Non. çA sort tout seul.

Mais c’est vrai que dans certaines circonstances, comme au travail, je me tais.

Je reste silencieuse. On ne me voit pas. On ne m’entend pas. (Mais quand on me devine, on me ressent vraiment.)

J’ai fais des crêpes hier après-midi. Carine devait venir. Finalement elle vient tout à l’heure. Mais, en revenant de chez le médecin qui m’a arrêté pour lundi et mardi, j’ai fais des crêpes.
Et, inévitablement, la première d’entre elles a raté.