Dark
Des fois, je suis d’une telle noirceur. Inexplicable. Je suis inexplicablement sombre. Inexplicablement obscure. Sombre, aujourd’hui en fin de journée. Vers 17h00 environ, ça a commencé. Sombre, je marche dans la rue, hébétée. Sombre, à me foutre dans la baignoire pleine d’eau chaude, me bourrer d’aspirine et me donner quelques coups de rasoirs bien placés. Et puis sombre à laisser la vie s’écouler rapidement de mes poignets, dans l’eau chaude. (C’est une erreur, paraît-il, de couper les veines perpendiculairement. Pour que le sang s’écoule vite, il vaut mieux suivre le sens de la veine.)
Sombre, je marche dans la rue hébétée. Après une journée de travaille que j’ai détesté. à Tout remettre en question. Je marche et tout me transperce et me défie. Tout; le regard des gens, leurs voix, leur empressement, leur impolitesse. Le regard pervers et mauvais d’une bande d’Indiens en bas d’un immeuble. Je les regarde. Je sens plus que je ne sais : ils sont capables de violer, si les circonstances s’y prêtent. Cette certitude me transperce comme les vies qui m’entourent dans la rue. Je me dis alors que les hommes sont mauvais. Tous les hommes. Alors à quoi bon ? Autant opter pour l’aspirine et la vie qui se répand dans l’eau chaude.
J’arrive chez moi. Les larmes aux yeux. La vie au bord des lèvres. Je me demande toujours ce qui me retient quand ça arrive. Souvent, les samedis soirs quand je rentre seule du travai, ça arrive. Ce qui me retient. Papa. la souffrance que ça lui infligerait. Mon frère; ne pas lui faire subir une telle tragédie, ça l’anéantirait. Ma soeur ?
Papillon ?
En fait, l’obscurité envahissante d’aujourd’hui a commencé vers 17h00, après le sms inachevé de Papillon. Je lui ai bien demandé de me le renvoyer, que je n’avais pas tout reçu… Mais il n’a plus répondu. Et alors, dans ce morceau de texto manquant, j’ai imaginé, j’ai:vu : "C’est fini, j’arrêtes tout". Le cauchemar. Le traumatisme. La peur incontrôlable de le perdre malgré ses réassurances constantes. Dans ce morceau de sms manquant, le souvenir du 19 mars a fait surface un peu plus. (Le 19 mars, quelques heures après que nous ayons échangés notre premier baiser, fondant et bouleversant, Papillon m’envoyait un texto précipice dans lequel il m’annonçait qu’il ne pouvait pas continuer. Je m’en rappelle comme on se rappelle d’un cauchemar; avec des frissons d’horreur. D’ailleurs, je m’en souviens, quand j’ai reçu ce texto j’ai violemment secoué la tête, comme pour me réveiller. Je n’étais pas seule, j’étais chez ma soeur. Je n’ai pas eu la force de rentrer chez moi. J’ai passé la nuit chez elle, légèrement apaisée par 3 Lexomil. Et puis le lendemain, je l’ai vu. Il m’a avoué. Tout. Ce qu’il ressentait pour moi. La tornade que j’avais été pour lui. Le coup de foudre. Mais : le fait qu’il avait une copine. Qu’il s’était senti perdu, bouleversé. Sa décision de la quitter aussi, surtout. Après ses partiels. Et puis, l’après-midi magique et éternelle qu’on a passé le 20 mars. Et puis : la nuit. Et puis : l’amour, rapide et inexplicable. )
Maintenant, je suis capable d’écrire sur ça, les touts débuts tourmentés avec Papillon. C’est moins douloureux. Parce-que je suis assurée de son amour, de sa détermination à être avec moi. Assurée, de plus en plus. Pourtant, je passe par des moments d’angoisse démesurés. Infernaux. Quand il n’est pas avec moi. Quand il tarde à répondre à un sms. Quand son portable est débranché. Quand, soudain, mon imagination s’emballe et les films débutent dans ma tête. Mon manque de confiance est, cependant, pardonnable : La situation est douloureuse. Inconfortable. Pour trois personnes.
Et cette noirceur, ce soir, est liée, je le sais, à son texto inachevé et à son absence de réponse. Son absence de réponse laisse la place à l’ombre du 19 mars de se répandre; dans ma tête, dans ma peur.
Je sais, de manière rationnelle, qu’il travaille, qu’il est occupé. Cette nuit encore, j’étais son rayon de soleil. Celle qui lui apporte le bonheur. Sa giraffe, avec deux f. Ce que j’ai pu rire sous cape. Avec ses deux f innocents.
Mais : le peur de voir Papillon disparaître. S’évaporer. S’évanouir. Le voir disparaître, même, des photos que j’ai prise de lui. De cette photo tendre et intense où l’on s’embrasse doucement à la Villette. La Belle et la Bête il a dit en la voyant. Le voir disparaître de ces photos là. Et qu’alors il ne reste que le vide et mon âme blessée.
(Je ne devrais pas être aussi noire. Aussi négative. Je risque d’attirer un oeil qu’on dit mauvais.)
Je n’ai jamais aimé comme ça. Je n’ai jamais eu le désir d’aimer comme ça. Je n’ai jamais eu aussi peur de perdre quelqu’un comme j’ai peur de le perdre lui. J’écoute la BO de Jessie James (Nick Cave). J’imagine dans la musique une menace, une fatalité, qui n’existe que dans mon imagination.
Je me sens mieux. Bien moins sombre. Inexplicablement. L’envie de mourir dans l’eau est passée. La peur et l’angoisse restent. Je les exorcisent par l’écriture. Un genre de texte que je serai prête à faire lire à Papillon. Papillon. J’ai envie d’écrire son prénom. J’ai envie de le dire. (Je le dis. Je le murmure.) Quand on fait l’amour, je dis son prénom. Je ne peux pas m’empêcher de vérifier qu’il est bien réel. Des fois, je lui demande ça, s’il est bien réel. S’il ne va pas s’évaporer. Comme le cerf de mon souvenir. Il me répète que je ne vais pas le perdre. Jamais. Et que je peux lui faire part de toutes mes peurs. Je lui réponds que je ne suis pas habituée au bonheur. Que des fois, j’estime que je n’y ai pas droit. Et qu’alors, j’attends le pire. Et qu’il faut qu’il comprenne. Que je vais m’apaiser. Que je serai plus sereine. Il me répète que je ne le perdrais pas. Et que je dois penser aux moments de bonheur avec lui, quand je sens la peur arriver. C’est ce que j’essaie de faire ce soir.
L’obscurité est partie mais; la peur est tapie là, toujours un peu.