Journal de fin de jeunesse

Je finis l'année au plus mal

J’ai plein de boulot, dont le dossier d’étude personnel à rendre pour le 7 janvier. Je n’ai rien fait.

En rentrant chez moi jeudi soir, plus d’électricité. L’angoisse totale. Le raz-le-bol de vivre ici. L’appel paniqué à papa et finalement le coup de main demandé au voisin Chinois. Résultat : c’est le disjoncteur qui commande le ballon d’eau chaude qui a sauté. Alors voilà, je n’ai plus d’eau chaude depuis jeudi soir.

En quittant papa jeudi soir à la gare de Poitiers, j’ai été assaillie par une tristesse indéfinissable. Je l’ai vu me dire au revoir, puis s’en aller. Je regardais sa démarche. De dos, dans la nuit. Si familière. J’y ai décelée comme une forme de désespérance. De douleur teintée de détresse à me voir le quitter aussi vite.
Rien que pour ça, j’aimerais être plus présente pour lui. Voire aller vivre là bas. Au détriment de ma vie à moi. Ma vie à moi. Je n’y crois plus trop en ce moment. De toute façon… C’est comme une grosse blague.

Tout va mal. Partout, et pour tout le monde. Et le monde entier va mal. Et je le sens. Et je le sens si fort que je n’ai plus envie de me forcer à espérer.

Je mange n’importe quoi. Je ne fais plus aucun repas équilibré. J’ai beau me dire "aller, j’arrête mes conneries!", je n’y arrive pas. C’est plus fort que moi : cette flemme liée à cette appel de la malbouffe.
Et merde. Moi qui avait réussi à devenir toute mince. Et qui allait à la salle de sport.
Plus rien. Un légume dénué d’énergie et de volonté.
Je me trouve grasse et je me dégoûte.

Je ne pense qu’au moment où je vais bouffer. Et je ne sais plus comment tuer le temps entre deux repas. Alors que j’ai plein de travail…

Il faut que je me reprenne. Je ne sais plus comment j’en suis arrivé là. Mais ça ne va pas du tout. Je me sens comme déchargée de vie. Résignée à une existence morne et colérique dans un monde qui n’ira jamais mieux. Et qui me tue et me rends triste.
De voir ça. De voir comment vont les choses. Comment nous sommes engrangés dans un mécanisme infernal qui nous conduit lentement et tendrement à notre perte. De voir ça et que rien n’est fait pour inverser la tendance, ça me bousille.

Et ce fric. Ce fric absent. Ce manque de fric. Comme si le fric, à l’instar du pétrole, diminuait progressivement de la surface de la Terre.
Or, du fric, il y en a. De plus en plus. Mais, étrangement, de moins en moins qui circule entre nos mains. Concentré, de plus en plus, dans un cercle de plus en plus restreint de mains corrompues.

Ce n’est pas moi qui finis mal l’année. C’est le monde. Je suis trop sensible pour le supporter. J’ai peur de mon avenir : incertain ici.

Aujourd’hui, je n’ai pas su dire à ma soeur qu’en fait je ne voulais plus aller vivre chez elle en banlieue.
Mais là, en y réfléchissant, je crois que si, que je vais y aller avec elle finalement. Etre toute seule, je ne le supporte plus. çA non plus, je ne le supporte plus.
Et ce n’est pas Monsieur William qui va venir palier à ma solitude.

Ce BTS de merde qui arrive dés avril. Qui, je crois, sera un échec si je ne me bouge pas plus!
Ce BTS que je vois aujourd’hui comme une perte de temps et une perte de vie.

Ce jour de l’an qui m’emmerde. Si j’avais fais preuve de force de caractère, j’aurais dis non à Fanny pour la soirée "cotillon" hyper cher de demain soir. Mais j’ai été faible. Et je me suis sentie coupable de ne pas faire la fête comme tout le monde… Puisqu’on est obligé non ?
Fêter quoi ? Une année encore pire qui commence ? La chute toujours plus rapide du Monde vers la déchéance ? On s’en approche. On s’en approche.
Je n’avais envie que d’une chose moi : faire l’amour toute la nuit avec Monsieur William, passionnément, désespérément, douloureusement et rageusement. Et tristement. Et : tragiquement. Avec : une théâtralité de circonstance. J’aurais adoré, partager avec l’homme que je veux ce plaisir insensé.
Faire l’amour, lui lire des passages des livres qui me bouleversent. Recommencer à baiser. À se faire mal presque.
Voilà ce que j’aurais voulu. Au lieu d’une stupide fête où l’on va faire semblant.

J’ai changé. Définitivement. Je suis irréparable.
Ce n’est pas un simple cafard lié à la nuit et au froid.
J’ai changé. Les quelques années qui me restent à vivre, je les vivrais maintenant loin de l’illusion. Et dans cette douleur collante.
Je viens d’une génération sacrifiée.
Le peu que nous sommes à l’avoir compris devra s’en accommoder pour tenter d’être heureux. Malgré tout...
Avec les yeux trop grands ouverts pour feindre la cécité.

J’ai plein de boulot.
Je dois me remettre dans le bain. Me forcer encore un peu. Donner un semblant de sens à ces journées absurdes.