Journal de fin de jeunesse

La corde sensible

Me voilà revenue de l’exposition.
Elle ne s’est pas moqué de moi. Enfin je crois.
Les photos m’ont plu. La démarche du photographe. Sa sensibilité. Son implication, très forte. Intense. Palpable comme le bois, et la pierre et le charbon et la sueur. Et les larmes refoulées.
Tout ça, ça m’a plu. Mais ça m’a touché plus que ça ne m’a parlé.
(Parenthèse : écrire est un tel bonheur.)
Touchée oui. Saisie, non.
Juste, ce n’est pas ce qui me parle à moi. Mais c’est un très joli travail. Le somptueux compte-rendu d’une époque qui est brisée. Et des gens qu’on a brisé avec. Et du regard brisé posé sur eux, impuissant.
J’ai pensé à lui. Très fort mais pas trop fort. Devant le triptyque. Celui qui l’avait tant ébranlé. Et devant d’autres photos, oubliées par moi celles-ci. Mais qui sont revenue me heurter comme une caresse acérée quand je les ai reconnus. Comme celle, par exemple, du petit garçon qui reprend la mort après la noyade de son père. Lapsus, pas corrigé : qui reprend la MER après la noyade de son père.
Tout ça. Cette visite, ça m’a fait me sentir éloignée de lui. Et aussi proche. Éloignée car de sensibilité différente. Une certaine sensibilité, j’entends. Pas toute entière. Et proche car marchant dans ses pas. Voulant le connaître.
j’ai tellement envie de le connaître.

Après l’exposition. Dans la boutique, j’ai acquis un livre qui m’a tout de suite parlé. Lui, il m’a parlé, tout de suite. Un livre de photos. De Pierre Hybre, intitulé Noirs Tropiques. Je suis ravie. C’est un livre qui a été édité seulement à 100 exemplaires. Le mien, c’est le 76 (est-il indiqué sur la dernière page au crayon à papier...) Et dedans, une photographie originale!
J’adore, des photos moites et comme chargées de venin. Ou d’une autre substance lourde et peut-être toxique Des photos des Caraïbes. En noir et blanc.
D’ailleurs, elles me font penser aux photos de Guadeloupe de J. En noir et blanc aussi. Un album de lui que j’apprécie beaucoup.
Moi, ça ne me viendrait jamais à l’idée de prendre la moiteur et la pesanteur des Tropiques en noir et blanc. J’aime de trop, de trop. J’aime de trop la couleur du ciel chargé.
(Ciel chargé, ça aussi c’est de lui; sa réaction suite à des photos d’éléphants prises par moi en Thaïlande après un orage. Photos que je lui avais envoyé la veille de ses vacances. Et qu’il a aimé.)
Les Tropiques en noir et blanc ! ! C’est bien une idée d’hommes.

En parlant de tropiques. Hier soir il faisait tellement chaud chez moi que je n’ai même pas pu dormir dans ma mezzanine. J’ai dormi par terre sur mon petit canapé-lit (qui déplié est en fait un matelas très dur à même le sol). Et j’étais contente. Un peu excitée par la chose. Par l’inédit de la chose. Comme une enfant qui dort pour la première fois dans une tente...plantée dans son jardin.
Le renouveau est excitant. Et j’ai quelque-chose d’une enfant. Je reste une enfant. Mon enfant.
Sur ce matelas dur. Dans cette chaleur tropicale : j’imaginais ses mains glisser sur ma taille. Et se perdre dans l’écume de ma sueur.

J’ai également acquis un autre livre. Mais celui-ci, je le cherchais. C’était prémédité. Je suis tombée dessus par hasard. Oh Joie!
Je feuilletais ce livre en pensant que vraiment, j’aimais ça. Ces photos là. Puis j’ai regardé le titre et l’auteur. Et j’ai réalisé qu’il s’agissait de celui que je recherchais : Ron Jude, Lick creek Line.
Le photographe a suivi un trappeur dans sa forêt. Au plus profond de sa nature. çA, ça me parle.
C’est drôle, parce-que j’avais senti rien qu’en lisant le résumé que j’allais l’aimer. Et là, sans savoir que c’était lui, je l’aime. (Je peux vraiment me faire confiance en matière d’intuition.)

Je commence à accumuler pas mal de bouquins de photographie. çA représente un budget que je n’ai pas.

Je ne vais pas tarder à y aller pour le picnic.

Je pense à lui. Je pense à lui.