Les sourires, et la tristesse des rhinocéros
Je n’ai rien à dire. J’ai : des tas de choses à dire.
Je suis fatiguée des révisions. Je dors à nouveau. Je suis heureuse de dormir à nouveau. Même si je sais que c’est grâce à l’action du médicament.
Je ne trouve plus le temps de lire; d’avancer dans un livre. Je suis lente pour tout. Je me sens : lente pour tout.
Je suis fatiguée du travail que j’ai à faire. Du travail qui m’envahit. Fatiguée de toutes les choses que je dois apprendre et savoir pour dans moins de 15 jours. Pour dans 12 jours. Je suis, aussi, dans l’effervescence de cette apprentissage là. J’apprends tous les jours. Même si c’est un peu tous les jours, (car je n’ai pas le courage de travailler des heures d’affilé), j’apprends tous les jours.
Je sais, en apprenant comme ça, que je m’en sortirai en biologie et en cosmétologie. Je sais que je peux avoir une très bonne note à mon épreuve de science. Mais le reste ?
Une bonne chose s’est produite vendredi dernier : mon épreuve d’espagnol s’est extrêmement bien passée. Ce n’était qu’une option. En vue de me rapporter des points. Mais je me suis très bien débrouillé. Comble de l’ironie; alors qu’en anglais nous devions tomber sur un sujet concernant l’esthétique mais qu’il n’en a finalement rien été, en espagnol où nous devions être interrogées sur un sujet général, nous sommes tombées sur le thème de l’esthétique. Je dis nous. Je parle de A. et moi; les deux hispaniques de la classes. Les deux seules à avoir pris l’option espagnol en plus.
Après mon épreuve, je me suis rendu au travail. Pour seulement 2h30… Un long massage m’attendait. Je n’avais pas envie du tout de le faire. Mais mes collègues ont fait attendre la cliente. M.C aurait pu s’en charger. Mais non. Je lui en ai voulu. Elles ont fait attendre la cliente avec un thé jusqu’à ce que j’arrive. Et si j’avais décidé d’arriver plus tard alors ? Elles auraient fait attendre la cliente une heure ? Quelle absurdité. Ce que le travail me révulse parfois ! Comme j’y vais à reculons ! Mais : il s’est avéré que c’était une cliente habituée à moi. çA m’a surpris car je ne me souvenais plus du tout d’elle. Mais elle si. Elle voulait un massage avec moi. Elle aime les massages avec moi. J’étais resté dans son esprit alors qu’elle était depuis longtemps sorti du mien. C’est étrange comme ressenti. Gratifiant, c’est sur.
Cette cliente se rappelait bien de moi. Je lui avait même parlé de mon connard de voisin et de sa télé de merde et de ses jeux vidéos qui me bousillent la vie. Elle m’a questionné à propos de ça. A propos de mon voisin.
Avant elle, quand je suis arrivée au travail, il pleuvait. J’étais belle et élégante. Je sortais d’un oral… j’avais mon trench rouge, une robe bleu en dessous. Une robe qui ne dépassait pas de mon trench, de sorte que seules mes jambes rehaussées de talons hauts dépassaient de mon trench. Une queue de cheval extraordinairement bien réussie. Un maquillage parfait. Je me sentais belle. On m’a fait remarquer plusieurs fois ce jour que j’étais belle. Que j’étais "adorable".
Alors avant d’arriver au travail, sous la pluie, je suis passé exprès devant le restaurant où mon beau serveur travaille. Mais rendue juste en face, je n’ai pas osé regarder à l’intérieur. Pourtant, quelques minutes plus tard, c’est lui qui était devant ma boutique. A fumer. Je l’ai vu furtivement dans le reflet du miroir. Il n’avait rien à faire là. Il avait froid. Il frissonnait. Je pense qu’il m’a vu passer devant son restaurant. Et je pense qu’il est venu fumer pour pouvoir, enfin, me parler. Dans l’espoir que je sorte le voir.
Mais malheureusement, quand je l’ai vu, j’ai été obligé de monter m’occuper de ma cliente. Qui m’attendait depuis longtemps déjà. Dans quelle état de tristesse et de frustration je l’ai massé ! J’avais le coeur lourd. Et l’esprit tourmenté par cette malchance sournoise et ironique qui semble peser sur mes pauvres entrevues avec le serveur. Comme si tout était fait pour qu’on n’arrive jamais à se parler enfin.
Mais peut être. Peut-être je me dis ça pour occulter ma lâcheté. Peut-être que c’est plus facile de penser que les circonstances ne se prêtent jamais à notre rencontre plutôt que d’aller enfin lui parler de vive voix !
Ce que je n’ai pas dis. Ce que j’aime me rappeler, c’est que le samedi d’avant, il m’a souri. Il faisait beau. J’avais ma robe noire moulante portée juste pour qu’il la voie. Il est venu fumer devant la boutique. Je vois bien que quand il y a du monde, il se retient de regarder à l’intérieur. Je vois bien qu’il est bloqué dans ses intentions (si intentions il y a). Et ce samedi là, il faisait beau et j’étais belle alors il est venu fumer. Par un heureux hasards, quelques manifestants agités sont passés pile à ce moment là devant ma boutique. Et j’ai bien vu son manège; il a profité du passage de la manifestation pour se retourner, me chercher du regard par dessus les manifestant, et me gratifier d’un large sourire ponctué d’un signe de la main et d’un "çA va???" plus qu’enthousiaste ! J’ai souri tout joyeuse et lui ai répondu. On est resté là à se regarder dans l’expectative de quelque-chose. Mais comme il était en présence de quelqu’un, (un voiturier), je n’ai pas osé aller le voir. Alors que l’occasion m’était donné...
Je me sens nulle. Si seulement j’avais le courage de sortir lui parler.
J’espère que Carine aura enfin l’occasion de lui donner mon numéro demain !
Mais depuis quelques temps, un autre sourire s’est immiscé dans mon esprit. Celui d’un voiturier. Il travaille dans le rue où je travaille moi. Je ne l’aurais pas remarqué si une nouvelle collègue (que je n’apprécie pas trop et dont je me méfie) n’avait pas plus ou moins craqué pour lui. C’est elle qui m’en a parlé. L’autre jour, elle m’a même dit "niveau beauté, il est aussi beau que ton serveur je trouve..." Il n’en est rien. Le voiturier, objectivement, n’est pas beau. Bon, elle, elle le trouve canon.
Et je me suis mise à l’observer. Il est très attirant. Charmant. A défaut d’être beau, (comme mon serveur qui lui est beau, attirant ET charmant.) Il a vu que je le regardais. Et s’est mis à me zyeuter aussi.
Et mercredi dernier, alors que j’étais en train de me reparfumer, il s’est planté devant la boutique. Et m’a lancé un sourire tellement craquant que je me suis sentie fondre sur le champs. J’ai souri en réponse. Un sourire incontrôlable. Fondant.
Et depuis, cet attirant garçon est devenu un objet de fantasme que je ne m’explique pas.
Je sais que j’aurai beaucoup moins de mal à aller vers lui que vers mon serveur. Car je le trouve plus rassurant. Con ser menos guapo se ve mas accessible. En étant moins beau, il est plus atteignable à mes yeux. Enfin je ne sais pas si c’est ça. Mais je sens que je serai moins gourde face à lui. Face à lui, il n’y a pas tout ce chassé-croisé insupportable...
Je me sens un peu dégueulasse par rapport à ma collègue. Mais c’est à moi qu’il a souri comme ça. Elle, il ne la regarde même pas. Et elle, elle a un mec depuis deux ans.
Et aujourd’hui, je suis triste. Et je passe une journée grise et monotone. (Je n’ai réussi à réviser que 4 petites heures aujourd’hui. Je n’ai pas beaucoup avancé.) Je suis triste parce-que j’ai lu, ce matin, la nouvelle du massacre par leurs propres gardes des derniers rhinocéros du Mozambique. çA m’a glacé. Et plus le temps passe, et plus ma pire crainte semble se concrétiser. Ma pire crainte; celle d’assister de mon vivant à l’extinction d’espèces animales… Je ne sais pas si je pourrai continuer à vivre sereinement si des nouvelles comme ça continuent de s’accumuler. çA me hante. Je déteste que ce soit la réalité. Je déteste devoir faire avec cette réalité. Je déteste que l’Homme n’ai rien appris. Que l’Homme continue de détruire tout ce qu’il peut détruire. Que l’Homme n’ai pas grandit. Je déteste vivre avec cette certitude que l’Homme ne s’améliorera jamais, n’apprendra jamais. Que l’Homme continuera d’écraser comme ça la nature, comme une entité qui lui est étrangère et profitable. Que l’Homme ne comprendra jamais que la nature et lui ne sont pas étrangères mais sont au contraire une seule et même entité. Je déteste vivre avec la certitude que l’Homme continuera d’écraser la nature et donc de s’écraser lui-même. Que l’Homme continuera de propager la souffrance et l’extermination sans comprendre jamais qu’il s’extermine lui-même peu à peu.
Si l’Homme arrivait enfin à toucher du doigt cette réalité, alors je suis sure que le respect de la nature resurgirait. Je suis sure que tout serait différent.
Mais je crois que tout ça s’est perdu. Avec l’extinction des derniers peuples sylvestres (qui va de paire avec la destruction des forêts). Toute cette sagesse et cette humilité s’est perdu.
Et l’Homme moderne est trop abruti et trop orgueilleux pour admettre qu’il est fait de la même essence que la nature qui l’entoure. Que lui et le rhinocéros, par exemple, ne sont finalement que la même chose : une expression magnifique de la vie.
Si simplement tous les hommes pensaient comme moi, avec cette simplicité et cette justesse là, alors je crois que jamais des espèces (animales et végétales) ni des peuples ne disparaîtraient.
Mais cette conscience là est bien trop pure, bien trop simple et bien trop facile à comprendre pour être digne d’être à la porté d’esprits aussi élevés. Tellement élevés, dans la folle démesure et le progrès toujours plus dévastateur. Des esprits tellement haut qu’ils sont désormais incapable de regarder le monde par en bas. Avec l’humilité qu’il se doit.
Je suis bien triste. Et je me sens toujours plus fragile face à ça.
Heureusement, il y a les sourires. Puisqu’au moins on a ça.