Journal de fin de jeunesse

Trop d'amour, trop de douleur

J’aurais aimé avoir le joie nécessaire pour écrire à propos de Monsieur William. Et de ce samedi où le croiser m’a rendu heureuse. J’aurais aimé. Et je le ferais, j’espère, quand ça ira mieux.
Mais : Ces jours-ci, je n’ai pas eu la joie nécessaire. Enfin la joie, si, jusqu’à hier soir. Le courage non. Trop de boulot avec mes exams. Et trop de fatigue. Trop de pâleur. De fatigue et de sommeil. Trop de cernes sous les yeux. Trop de lassitude dans le corps. Dans les mains. Dans l’esprit.
Et depuis hier soir, c’est la tristesse et la douleur qui sont venus rejoindre la fatigue. Compléter le tableau peu reluisant de mon début d’hiver.
çA concerne papa. Mon papa. Le seul que j’aurais jamais.
J’arrivais à tenir le coup depuis qu’il m’avait annoncé son attaque. J’y arrivais car les fois où je l’avais eu au téléphone, je l’avais senti bien malgré tout. J’avais cru sentir chez lui une acceptation de la chose. Rassurante pour moi. J’avais cru comprendre qu’il prenait ce coup dur avec une certaine philosophie.
Mais depuis hier soir, je sais qu’il n’en ai rien.
En sortant de cours, j’avais un message vocale de papa. "Rappelle-moi ma chérie j’ai besoin de te parler."
J’ai paniqué. çA m’a complètement angoissé. Sa voix. Que j’aime tant. Avec une pointe de noirceur, toujours. Une tâche d’ombre, petite, qui encombre sa voix et lui donne cette teneur si particulière. Une teneur en tristesse et en résignation. Sa voix, elle est toujours teinté de ça.
Alors, de toute façon, dés qu’il me laisse un message, moi j’ai toujours une petite tâche de panique et d’angoisse qui vient me noircir aussi.
Je le rappelle. Répondeur direct. J’ai eu peur. Car ce n’est pas son habitude. Et toujours, j’imagine le pire. Pas qu’avec papa d’ailleurs. À chaque fois que je tombe directement sur le répondeur de quelqu’un que j’aime trop et chez qui ce n’est pas une habitude (de se mettre en répondeur), alors je panique. Et je pense à la mort.
Hier soir, j’ai même pensé au suicide. Au suicide de papa. C’est extrêmement difficile pour moi ne serait-ce que d’écrire ces mots; Le suicide de papa. Mais j’en ai besoin. Je veux me vider. Me vider de cette peur là.
Au bout de plusieurs appels de ma part, papa a enfin répondu. Son téléphone a enfin sonné. Et il a enfin répondu.
Je lui ai dit que son appel, son message urgent, ça m’avait inquiété. Mais ce n’était rien de grave. Un problème de débit sur sa carte bleue...
Puis, j’ai poussé la conversation dans le sens que je voulais. Je l’ai orienté vers lui. Vers comment il allait lui. Et j’ai bien vu que ça n’allait pas. Bien sur. Evidemment que ça ne va pas. Papa, qui avait perdu un grande partie de son champs visuel au niveau de l’oeil droit deux mois avant la mort de maman, a maintenant perdu une grande partie de celui de l’oeil gauche. Papa, il ne peut presque plus conduire. Il ne peut presque plus être sur l’ordinateur (il est obligé de zoomer à fond l’écran et même comme ça, ça le fatigue énormément). Il ne peut presque plus regarder la télé (il ne voit pas tout l’écran). Et, il m’a dit cette chose qui m’a bouleversé. Lui qui adore cuisiner. Il m’a dit, quand je lui ai demandé si ça l’handicapait pour cuisiner : "Quand j' épluche un légume tu vois, je ne vois pas la fin du légume..."
Papa est un homme extrêmement indépendant. Que va t-il advenir maintenant ? Je souffre tellement. Je voudrais tellement que cette attaque ne lui soit jamais arrivé.
Le peu de goût qu’il avait de vivre depuis la mort de maman, il est où maintenant ?
C’est terrible. C’est affreux. Il ne mérite pas ça.
Je voudrais tellement que cela me soit arrivé à moi plutôt qu’à lui. Je ne supporte pas ce qu’il va devoir endurer. Ce que va être sa vie maintenant. C’est trop dur. J’ai trop mal au coeur. Et je me demande comment il va m’être possible d’aller bien et d’envisager l’avenir sereinement maintenant que papa vit un tel calvaire.

Le plus dur à entendre. Ce que je craignais le plus d’entendre, ça a été ça. Quand papa m’a dit que c’était insupportable de devoir vivre comme ça. Qu’il espérait que la science aller vite trouver quelque-chose car il n’allait pas le supporter longtemps....

Or, et il le sait comme je le sais, la science n’a aujourd’hui aucune solution. Aucun remède à son mal. Et sachant cela, papa n’envisage pas de continuer longtemps à vivre comme ça… C’est donc qu’il n’accepte pas. Que ce n’est pas envisageable comme situation.
Bien sur, entendre ça, ça a été comme un coup de couteau glacial dans l’estomac. L’angoisse brutale, minérale et froide comme le métal qui soudain s’enfonce dans mon ventre. Ce que je craignais le plus d’entendre; la non-acceptation de papa.
J’ai senti que papa était comme sur un fil. Pas sur de vouloir continuer à vivre. Sentant de plus en plus que sa vie est trop horrible pour qu’il la continue. Que cette attaque, c’est la pire chose qui pouvait lui arriver. Et que maintenant, à quoi bon ? Autant se laisser tomber de ce fil trop effilé. Trop usé. Trop amoché.
"C’est la seule maladie des yeux pour laquelle il n’y a rien à faire, il a dit. Tu trouves pas que c’est rageant ? C’est pas supportable ma chérie. "
J’ai vu des prémices de mort. Des envies de mort. Parce-que cette vie là est trop moche, j’ai vu qu’il ne s’envisageait pas pouvoir la vivre encore longtemps.

J’ai tout fais pour le rassurer. L’encourager. Lui montrer que tout n’est pas perdu. Que des tas de gens vivent comme lui. Et qu’ils arrivent à trouver un équilibre. Qu’ils acceptent. S’habituent et apprennent à vivre avec. Et que c’est une épreuve. Mais qu’il va y arriver. Qu’il n’a pas le choix. Qu’il ne doit pas l’envisager comme ça, avec colère. Car sinon, il n’y arrivera pas.
"J’adore tes conseils ma chérie!" Il a dit.
"En même temps c’est les meilleurs que je puisse te donner papa."
"C’est vrai. C’est vrai..." Il a dit.

Il dit qu’il espère qu’il va y arriver. Bien sur, la douleur atroce, la peur et l’angoisse me font lui répondre que oui. Qu’il va y arriver. Qu’il est entouré. Que ça va s’arranger. Se stabiliser.
Mais je le dis aussi pour me rassurer moi. Je ne suis pas papa. Je ne sais donc pas comment papa ressent les choses en profondeur.
J’ai su par Carine que le médecin l’avait même mis sous somnifères. Elle aussi l’a senti très angoissé. Très perturbé par ce qui lui arrive.
Carine. Ma cher soeur. Elle aussi c’est dur. Son diabète est bien un diabète de type I. Et en plus de vivre avec sa maniaco-dépression elle devra s’injecter de l’insuline plusieurs fois par jour pour le reste de sa vie. C’est lourd tout ça. Trop lourd.

Mais je reviens à papa. Mon seul soucis aujourd’hui. Mon seul fait-précipice.
Il m’a tellement touché. Tellement fait mal au coeur quand il ma dit tout ça. J’ai ressenti sa tristesse, sa colère, sa douleur face à l’injustice qui vient de le toucher dans une vie déjà pas évidente. Je l’ai ressenti si fort, si violemment. J’ai eu tellement mal de l’entendre comme ça. Me crier doucement, avec une telle pudeur, un tel respect, son angoisse dévorante. J’ai eu tellement mal de l’entendre souffrir comme ça que j’aurais voulu prendre sa place. Etre lui. Pour ne pas qu’il ait à endurer tout ça. À subir ça.
Mon papa. Je suis si mal pour lui. Je l’entendais crier sa détresse et son impuissance face à ça. Avec retenue. Avec dignité. Avec, aussi, l’espoir fou que ça allait se résorber. Que ce n’était pas possible. Pas ça. Que forcément d’ici peu, il allait se réveiller et il verrait normalement à nouveau. Vous voyez ce que je veux dire ? Cet espoir insensé et désespéré. De celui qui au fond de lui sait déjà qu’il n’y a pas de solution.
Voilà, dans les quelques paroles qu’il a prononcé, ce que j’ai entendu moi. Voilà tout ce que j’ai vu. Tout ce que j’ai pu sentir. Tout ce que j’ai décelé, qui se cachait dans ces quelques paroles. À l’abris de l’entendement. À l’abris des mots simples et feutrés de papa. À l’abris d’un discours modéré. À l’abris d’une douleur contenue, j’ai écouté moi des cris, des hurlements de rage et de tristesse, des larmes et des sanglots à s’étouffer d’angoisse et de souffrance.

Et j’ai aimé papa si fort à ce moment là. J’aurais voulu apaiser sa peine aussi soudainement qu’elle est apparu. Mais : je n’ai pas ce pouvoir. Et je me sens impuissante. Et révoltée. Et je souffre en permanence pour lui. Je pense à ce qu’il doit ressentir. Et je souffre avec lui. Et j’ai peur de la vie qui m’attends maintenant, comme lui. Cette vie là, saurais-je l’accepter ? Saurais-je être plus fort qu’elle et la surpasser ? Pourrais-je vivre avec ça et réussir à me sentir bien ? Et réussir à continuer à vivre ? Et le plus important, à le vouloir ?
Ces questions, je sais qu’il se les pose. Et je me les pose avec lui.
Je sais, après les quelques mots échangés avec lui hier, que c’est ça son dilemme maintenant.

Bien sur j’ai peur. Bien sur, je n’arrête pas de voir papa mort. D’imaginer papa mourir. Bien sur je n’arrête pas de me dire que c’est la fin. Que cette attaque a marqué le début de la fin de la vie de papa. Cette fin que je craignais tant. Bien sur, je sais qu’il se le dit aussi. Et ça, c’est la pire chose.

Mais aussi, je me dis que, puisque j’ai déjà vécu le pire (la mort de maman), il est normal que j’envisage le pire de prime abord. Comme me dis Fanny : "Forcément tu as vécu le pire, alors tu as des mauvais réflexes!"

çA m’a fait du bien d’écrire. Même si ça ne change rien à la situation. Même si ça ne soulage pas papa.
J’espère que je me comporte de manière irrationnelle. J’espère que je ne fais qu’envisager le pire. Et que papa lui-même ne va pas jusque là.
Ce que j’espère plus que tout, c’est que papa trouve la force d’accepter. Trouve la force de voir ça comme une épreuve, ce truc de ne "plus y voir claire." Et qu’il arrive à en sortir renforcé. Meilleur. Qu’il trouve un équilibre et comprenne que la vie vaut la peine d’être vécu, même comme ça, "sans y voir clair". J’espère que c’est du positif qui en sortira. Et non que cela marque le début d’une fin dramatique. D’une histoire de famille dramatique.

J’y crois. Malgré ma morbidité d’aujourd’hui. Ma fatalité. Je crois profondément que cela peut être un mal pour un bien. Ce qu’il faut, c’est que papa y crois aussi. Et là, je ne sais pas quoi faire.
J’ai besoin d’aide.