Journal de fin de jeunesse

Vous lisez bien

Ma rentrée est passée.
Ce n’était pas si affreux. Pas si méchant. Juste long et chiant. Evocateur de ce qui nous attends cette année; du taff et encore du taff. D’ailleurs, on en a déjà. Déjà. Et déjà ce que je crains le plus. Ce que je crains le plus, c’est un devoir de physique-chimie sur tout ce que l’on a fait en première année dans… deux semaines.... C’est humain ça ?
Et, aussi, un devoir de chimie organique dans trois semaines. Et, en plus, un devoir de cosmétologie dans un mois. Un devoir qui concerne le HBL (Barrière Hydrophile/Lypophile), entre autre. Et ça me pose problème. Car calculer le HBL demande une gymnastique mathématique dont mon cerveau n’est pas capable. C’est génétique, je crois.
L’analyse financière de notre dossier d’étude personnelle à rendre dans peu de temps aussi.
Bon.
Mais je me sens très motivée. Pleine d’énergie. De positivisme. J’ai retrouvé mes copines et on rigole bien. L’ambiance dans la classe est meilleur que l’année dernière. Et je pense que l’année va passer vite. Et je vais me défoncer pour obtenir ce BTS. Le plus dur de France après le Diététique...
De plus, notre professeur responsable est cool. C’est la grande blonde qui ressemble à Barbie. Je pensais bien que ce serait elle. Et j’ai bien pensé.

P. doit être en Bolivie maintenant. Comme je l’envie. Ensuite il part en Argentine. Dans la région de Salta. (Salta. La région que Carlos avait arpenté. Il y a quelques années de ça déjà. Seul. Avec sa mélancolie. Et : son regard sensible et triste pour seul bagage.)
Je pense à ma voix sur le documentaire. Ma vois en espagnol. Je n’imaginais pas qu’elle sortirait aussi belle. Aussi douce. Avec une aussi belle rythmique. Je ne l’imaginais pas comme ça ma vois. Mais, peut-être, elle est un peu déformée pas le micro. P. m’a dit, dimanche lors de l’enregistrement, qu’il ne reconnaissait pas ma voix. Pas vraiment. Qu’il n’arrivait pas à mettre un visage sur cette voix.
Moi, je la reconnais. Mais elle est comme embellie. Comme maquillée. C’est ma voix maquillée. Comme mon visage qui paraît plus beau quand il est maquillé. C’est une étrange sensation. Qui m’a plu.

Aujourd’hui, en cours de français. Le cours dont tout le monde se fout. Sauf moi. Aujourd’hui le prof (un sacré phénomène celui-là d’ailleurs, j’en parlerais une prochaine fois). Le prof m’a fait lire un extrait du Banquet, de Platon. Je ne sais pas pourquoi, mais quand je dois lire ou parler en public, j’adopte une voix séduisante. Une voix douce et profonde, et chaude et mélancolique, aussi, un peu. La voix que j’ai en cabine parfois. C’est ma voix, mais enrichie d’un supplément de moi. Ma voix qui se veut attirante. Captivante. Vendeuse. Ma voix publique.
Le prof. Il vient me voir à la fin : "Vous lisez bien...."

Je parle beaucoup avec J. le photographe.
Je lui ai proposé l’expo Hopper avec moi. Je lui ai proposé différentes choses. J’ai hâte de le revoir. Mais il ne revient que fin septembre. Et puis, encore une fois, mi-octobre. Je veux le voir tout le temps.
Mais je ne sais pas quoi penser. Je ne sais pas ce qu’il a dans la tête. Ni nul part ailleurs. Il dit des tas de choses, et partage de tas de choses, qui pourraient facilement passer pour des allusions; des chansons aux titres explicites qu’il m’envoie de but en blanc, des mots, des choses. Mais il dit tout sans rien dire. Et comme je ne suis sure de rien. Et comme j’ai peur de me ramasser. Et comme il ne dit rien, vraiment, je me tais. Je garde le silence. Et j’oscille, comme lui, dans un gris artistique. Entre chienne et louve. Et comme lui, je dis tout sans rien dire. Mais encore moins que lui. Car : j’ai peur de le faire fuir. Et de ne plus jamais le revoir.
Et : je me plais à penser qu’il est simplement partisan du temps. Du temps au temps. De la découverte lente et magique de l’autre. Et de l’exploration lente de l’âme. Et que c’est ça qui l’intéresse; l’âme. Et que c’est pour ça que c’est si long. Que ça prends tant de temps.
Que c’est parce-qu’il flâne autour de moi. Qu’il flâne, indécis, avant de prendre ou non la décision d’orienter sa ballade. De l’orienter dans ma direction.
J’aimerais tellement être sure de lui plaire. Au moins ça. Et ça rendrait les flâneries plus faciles. Et moins incertaines. Plus confortable oui. Plus confortables.

"Vous lisez bien..." Pas tant que ça, apparemment, car je ne sais pas le lire, lui. Ma vue se brouille sur ces lignes là. Je vois flou. Je vois double. Je vois oui et je vois non.