Journal de fin de jeunesse

Shame

Hier.

J’ai décidé d’aller à Dammarie voire ma famille. Ma grand-mère, ma tante et mon oncle et mon petit cousin. Il est venu en France cette année pour étudier la médecine. Et il vit chez son grand-père et sa grand-mère; mon oncle et ma tante.

J’ai d’abord appelé. Pour prévenir que je passais. Je ne voulais pas me déplacer de Paris jusque là bas un dimanche. Avec le risque d’arriver et que personne ne soit là.

Je me faisais une joie de voir ma grand-mère. Je ne l’ai pas vu depuis avant mon voyage en Floride.
Je n’ai plus de temps pour rien depuis que je suis revenu.
Et plus l’énergie, non plus, de me bouger là bas les dimanches. Avec tout ce travail que je dois faire.

Mais. çA a été une telle déception. çA m’a, aussi, attristée;
Ma tante, exténuée. Lessivée. Qui ne peux plus. Prisonnière à cause de ma grand-mère. Très vieille. Trop vieille. Difficile. Invivable. Impossible à laisser seule. Même 15 minutes.
Ma tante s’en occupe. S’en occupe trop. S’est laissé prendre au piège d’une mère trop vieille, trop angoissée, trop peureuse. Qui ne sait pas vivre. Qui n’a jamais su être heureuse ( c’est la mère de mon père aussi). Jamais su être heureuse car : trop inquiète, trop angoissée en permanence. Envisageant le pire dés que sa fille, ou autre, disparaît plus de 10 minutes. Envahissante. Possessive.
Qui nécessite une présence permanente. Et cette présence c’est ma tante, épuisée, à bout de force, qui est obligée de lui apporter. Au dépend de sa vie à elle. De sa tranquillité à elle. De son repos à elle.

Au dépend de sa vie à elle. Oui.

Avec mon oncle, ils ne peuvent plus sortir. Plus rien faire ensemble. Par exemple ils ne peuvent plus faire les courses ensembles. Car ma grand-mère, elle ne peut plus rester seule un seul instant.
Alors; ils ne vivent plus. Ne vivent plus pour eux. Pour eux, ils n’ont jamais vraiment vécu.
Mais là c’est pire. Ils ne vivent plus du tout.
çA me fait une de ces peine. çA m’enrage.
Mais je ne sais pas si c’est la faute de ma grand-mère. Ou si c’est leur faute, car ils n’ont jamais pu la mettre en maison. Et jamais pu la convaincre d’y aller.
Aujourd’hui, sûrement à son insu, ma grand-mère les tue à petit feu. Par sa demande constante de la présence de sa fille. Par ses angoisses permanentes et irrationnelles. Qu’il faut calmer. En permanence.
Qu’il faut calmer même la nuit.

Elle est vieille. Elle est trop vieille maintenant.

Alors hier j’ai appelé. Pour prévenir que je venais. Mais ma tante m’a dit qu’ils allaient voire ma soeur à la clinique. Ce jour là justement. (c’est mon père qui les a prévenu de ce qui s’était passé...)
J’ai répondu que je resterais jusqu’à ce qu’ils s’en aillent voir ma soeur. Comme ça j’en profiterais pour remonter avec eux en voiture jusqu’à Paris.
C’est ma tante, qui est venu me chercher à la gare.
J’ai bien vu à quel point elle était épuisée. Morte de fatigue et d’épuisement. Je me suis inquiétée. Et j’ai affirmé que mamie était chiante.
"Non, elle est pas chiante Anne, a dit ma tante, elle est malade."
Et : ça m’a énervée de constater à quel point elle la défend alors qu’elle s’en plaint constamment.
Tellement elle préfère culpabiliser. Tellement elle aime se donner de bonnes raisons, louables, de souffrir.
C’est flagrant chez elle. Ce trait là. Accepter de souffrir comme ça, d’avoir une vie de merde, comme si elle le méritait.
çA me révolte !

Alors, arrivée à la maison, je suis descendu voir ma grand-mère. Elle était debout, en train de pleurnicher, au comble de l’inquiétude. En train de pleurnicher "Elle est où ma fille ? Elle est où ma fille??"
(Sa fille s’était absenté 20 minutes pour aller me chercher à la gare.)
Et; ça m’a énervé. Ma bonne humeur et ma joie de la voir se sont envolés à l’instant. Remplacés par une colère sourde, un agacement impossible à maîtriser. Par un manque d’amour soudain. Une envie de la gifler et de lui faire fermer son clapet une fois pour toute.
Et cela, mêlé à de la pitié de la voir si misérable. Si malheureuse. Si pitoyable. Dans cette vie trop pleine de tourments inutiles pour être considérée comme réussie.

Ce que j’ai ressentie, alors que je me tenais assise à côté d’elle à caresser le chat, m’a laissé dégoûtée. Et triste. Et apitoyée. Et inconsolable.
Elle était là, à ne demander qu’après sa fille, à pleurnicher. Sans un sourire. Sans une parole joyeuse, vivante. Sans raison apparente de vivre. Et je me tenais à côté, essayant de ne pas me montrer trop méchante. Et je pensais :

"Elle est trop vieille maintenant. Elle s’inquiète d’une manière irrationnelle et pathétique. Elle gâche la vie des autres et elle gâche la sienne, déjà pas gaie au départ. Elle est trop vieille. Elle n’a pas de raisons de vivre. Elle devrait mourir maintenant. Il y a un moment où il fait savoir partir"

Je pensais aussi : "Voilà ce qu’a été sa vie; une succession d’inquiétudes qui a emmerdé ses enfants, les a rendu hyper angoissés et hyper névrosés. Absolument pas heureux. Papa, par exemple, n’est pas heureux. çA sert à quoi çA aura servi à quoi Si c’est pour arriver à la fin et n’être toujours pas serein ? ? Il faut savoir partir".

Et j’avais honte de penser ça. Ma chère mamie. Avec qui je rigolais il y a quelques mois encore. Que j’adore le reste du temps.
Ma chère mamie. Que je ne veux pas voir mourir. çA me ferait trop de mal.
Ma chère mamie, avec un coeur énorme et un amour insensé. Un amour beaucoup trop grand pour sa famille. Pour nous. Ma mamie qui s’est occupé de tout le monde. Qui a élevé presque tous les enfants de la famille. Qui n’a vécu que pour les autres.
Ma mamie que j’aime tant.
Je souffre tellement de la voir comme ça.
Je souffre tellement d’être déçu et énervée quand je me faisais une joie de lui rendre visite.
Je souffre tellement de la regarder vivre dans un tel malheur. Alors qu’elle est entourée. Qu’elle n’a aucune raison de s’inquiéter. Qu’elle devrait être en paix à ce stade de sa vie. Sereine.

Mais : au lieu de ça, elle se gâche l’existence. Gâche celle de ma tante et de mon oncle. Et m’apparaît pitoyable.
Et c’est horrible. çA me fait mal.
Et ça me fait un mal de chien d’avoir pensé ce que j’ai pensé.
Mais que pouvais-je penser d’autre ?
C’est juste la vérité brute.
Que j’ose m’avouer. (De toute façon je n’arrive plus à rien me cacher. Plus à me mentir sur rien. Je suis résignée en permanence je crois.)

Et sur ce. Sur cette déception là. Je suis parti. Je suis remonté chez mon oncle et ma tante et l’ai laissé toute seule devant sa télé. Incapable de supporter cet enfer qu’elle s’est créé un seul instant de plus.
Je suis remonté chez eux, dans la nausée et la résignation.
En me disant que c’était criminel, tout ce que j’avais pensé,assise à côté de ma grand-mère.

Criminel.

C’était très triste ce dimanche. D’autant que j’ai appris que mon père s’était engueulé avec ma tante. Il s’est montré con encore une fois. Incompréhensible. Il n’en loupe pas une.
Et; j’entendais ma tante qui le traitait de con, avec sa "saleté de bonne femme".
Et ça me faisait mal car c’est la réalité. Il se conduit comme un connard. çA me fait mal pour lui. À quel point il doit se sentir malheureux et seul. Il le cherche aussi. C’est ça le plus dur.
Et avec ça, j’ai eu la confirmation qu’on ne fêterait pas Noël cette année. Que tout le monde sera dispaché.
Je vais sûrement me retrouver seule avec mon père et F. Dans une triste veillée où ils vont se bourrer la gueule et où de toute façon il n’y aura que de la viande à manger…

Hier, j’ai senti qu’il n’y avait plus de famille. Que c’était fini.
Que je suis seule. Qu’on est jodidos . Et plus seuls et malheureux que jamais.
Eclatés.
Terminés.
Il n’y a plus de famille.
C’est fini.

Je me sens perdu.
Mais aujourd’hui, étrangement bien. Forte et confiante.
Peut-être faut-il que je les enterre tous (symboliquement) pour mieux m’en détacher. Et donc mieux les apprécier.

Mais ça me fait tellement de mal. Tout ça. Toute cette merde.
Pourquoi ça nous est arrivé ?

En rentrant, en voiture. Ma grand mère était à l’avant. Elle était contente d’être en voiture et de regarder les maisons et les immeubles. Elle m’a paru encore plus misérable. La pauvre.
Quand je suis descendu de la voiture, à Porte d’Orléans, elle ne savais toujours pas que j’étais là.

C’est là que je suis allé au cinéma voir Shame, le merveilleux film de Stcve Mc Queen.
Un film sur la honte.
Pour me changer les idées. Pour regarder en face une autre honte que la mienne.
Pour me détendre aussi.
çA ne m’a pas détendu. Mais j’ai pleuré devant ce film. Ce chef d’oeuvre. Qui traite d’un drame; aussi bien un drame individuel qu’un drame familial.
Ce chef d’oeuvre traité avec une telle intensité qu’il est très difficilement soutenable.
Une telle intensité que, parfois, je baissais les yeux.
C’est le personnage de la soeur qui m’a bouleversé. Cette soeur paumé. En demande. En recherche d’affection. Qui se tourne vers la seule personne qui lui reste; son frère. Cette soeur qui tente d’y croire encore. Qui tente encore de croire à une quelconque cohésion familiale. À un quelconque amour filial. (Comme si celui ci était inné, obligatoire. Scientifiquement prouvé).
Cette soeur m’a déchiré le ventre.
À la fin, cette soeur se suicide. Et j’ai pleuré. Pas parce-que j’ai pensé à la mienne, de soeur. Mais parce-que j’ai pensé à moi.

Cette soeur, c’était comme moi.