Journal de fin de jeunesse

Chrismas Spleen (3)

C’est le dernier jour de l’année. Je finis l’année sous les plus pénibles hospices; que des soucis matériels à la con. La lampe de ma cuisine a pété, ce qui fait que du même coup, je n’ai plus de lumière dans ma salle de bain… Et ce ne sont pas des ampoules toute simples. Non ! Ce serait bien trop simple. Non, ce sont des appliques murales, mal fixées, et impossibles à ouvrir. Donc je ne peux pas les changer toutes seule.
Mon étagère s’est arrachée du mur. Impossible de la refixer; tous mes livres sont par terre. Et dans ma cuisine, l’espèce de cable fixé au mur et qui soutien mes rideaux et les voilettes qui cachent les placards insérés dans le mur est tombé. Impossible à refixer lui non plus, le système est trop complexe.
Alors pour l’heure, je m’éclaire à la bougie parfumée.
C’est vraiment pénible. Je vais appeler l’agence. Les propriétaires ont intérêt à se magner le cul.

Sinon ce soir, je n’avais rien de prévu. Je déteste cette idée de faire la fête pour le jour de l’an...
Mais bon, finalement Steph reste ici, alors on se fait une bonne bouffe en tête à tête et on va peut-être prendre un verre à Fontainebleau.
J’aurai préféré faire un truc en famille, avec mes frères et soeurs, point barre.

Mes frères et soeurs…

Ma soeur s’étant calmé. Assouplie. Nous nous sommes posés tous les 4 dans le salon. Ma soeur, son mec, mon frère et moi. Et c’était à mon tour d’être bouleversé. De pleurer. De me sentir lésée.
On essaie de s’expliquer, alors. J’essaie de faire entendre mon point de vue; à s’estimer incapable de nous faire face dans le fameux jeux de société, à décréter que c’est quelque-chose que nous ne pourrons plus faire ensemble, je trouve que a soeur se limite toute seule, se ferme des portes toute seule ! Mais elle ne comprend pas mon point de vue. Mon frère tente alors une conciliation. Il essaie de comprendre le point de vue de chacune et de l’expliquer à l’autre. Mais selon moi, il me contredit. Il ne cherche qu’à me contredire. Et à donner raison à ma soeur. Et par la même occasion, donc, à me faire passer pour une idiote. Dont le raisonnement n’est pas digne d’intérêt.
Voilà, c’est comme ça que je ressens les choses. Et ça monte et ça monte. Cette sensation de " n’être pas digne", d’être un indésirable. Ou pire, inexistante. Ce que je ressens à cet instant confirme ce que j’ai ressenti toute ma vie face à lui. Face à mon frère : je suis une merde.
Alors peu après, je me mets à pleurer de plus belle. Et je le lui dis : "De toute façon tu me prends pour une idiote. C’est ce que tu n’arrêtes pas de faire depuis tout à l’heure."
"Mais non,", il répond, "J’essaie juste d’apaiser les choses, de concilier...."
Mais je ne sais pas. Au lieu de me contenter de ça. De cet apaisement là. De ce règlement bâclé et branlant des choses, je m’enfonce encore plus dans le conflit. Je provoque. Je cherche. Je m’apitoie. Je ne lâche rien. Cette fois je ne ferme pas ma gueule face à lui. Je vais au delà des non-dits. Je cherche le face à face. Je provoque l’explosion. La tension s’effrite pour laisser place à la colère exprimée. Je cherche à sortir, en larmes, ce que j’ai tu depuis des années. Je redis : "tu me prends pour une conne".
Et c’est alors qu’il réponds, odieux, touché, méprisant comme jamais : "Après j’estime qu’on choisi d’être malheureux. Qu’on choisi de se sentir mal interprété..."
J’explose :"Ah mais c’est toi qui dit ça!!!!!!"
Il explose à son tour, me faisant plus mal que jamais, confirmant ce que je sais déjà de sa perception de nous, de sa famille : "D’t’façon la famille c’est de la merde ! Moi j’me casse dés demain matin. J’reste pas là avec vous. Et d’façon j’essaie pas de discuter avec quelqu’un qui pleure comme ça"!. De la rage dans sa voix. Du mépris. Plus que de l’irritation : de la constatation résignée. Et moi je suis anéanti. Mon frère ne m’aime pas. Il me méprise. Il ne me console pas. N’essaie pas de comprendre pourquoi je suis si mal. Dans sa colère en furie, des accents gitans qui l’éloignent encore plus de moi, de nous. C’est comme s’il estimait désormais qu’il n’avait plus de famille, que c’était fini.
Fini.
Je sens que c’est fini.
Que demain il va partir, et que ça va être fini.
Et je voudrais mourir. Car je souffre trop de cette fin là.

C’est là que le mec de ma soeur intervient : "N’en rajoute pas non plus F. ! N’exagère pas"
"Mais j’en rajoute pas, il réponds. Dés que t’essaie d’aider les gens tu t’fais baiser. Voilà. C’est fini j’aiderai plus personne."
Je suis tassée dans le canapé. En proie à un mal-être que je ne pensais plus ressentir un jour. J’aurai du fermer ma gueule je me dis. Fermer ma gueule comme je le fais d’habitude. Je me dis aussi que c’est un cauchemar. Et que je suis seule. Seule. Plus personne pour me consoler. Plus de maman. Plus de frère donc. Et papa ça lui ferait trop mal de savoir ce qui se passe.
C’est là que le mec de ma soeur nous abandonne. Va se coucher. Il est très tard. Presque 3h00 du matin.
Mon frère et ma soeur discutent, inconfortables, près de moi. Moi, je leur tourne presque le dos, de travers sur mon canapé. En proie à une détresse que je n’arrive plus à contrôler. Comme au bout d’un moment je ne peux plus contenir mes larmes et mes sanglots, je m’isole dans la salle de bain.

C’est ainsi que débute la partie lumineuse de; cette histoire ombrageuse.
Alors que je suis isolée dans la salle de bain, me démaquillant comme je peux. Inondée de traces de larmes noircies, ma soeur entre dans la pièce. Elle voit bien que je suis toujours autant bouleversée. Je lui dis que j’ai entendu. Entendu ce que le frère a dit : Que ça confirme l’idée qu’il avait de moi!. Je pleure. J’ai tellement mal. Tellement mal de répéter ce que je viens d’entendre de la bouche de mon frère, avec sa voix étouffée dans le salon. çA confirme l’idée qu’il a de moi.
L’idée qu’il a de moi.
De moi.
Son mépris de moi.
Mais: "Il n’a pas du tout dit ça, elle dit ma soeur. "Il ne parlait pas de toi. Il a dit que ça confirmait l’idée qu’il avait de la famille!"
Elle sort de la pièce. J’attends que mon frère vienne. Je sais qu’il va venir me voir. Et qu’alors tout va s’arranger. S' il ne vient pas, tout est perdu. Et alors je préfère mourir.
Mais je l’entends approcher de la salle de bain.
Il est là.
Il pleure aussi légèrement, de me voir dans cet état, mon frère. Je me souviendrais toujours de ses beaux yeux rougis, humides, touchés. Mon frère.
Il m’explique calmement les choses. Me dit qu’il voit à quel point je suis malheureuse. Tente de justifier son comportement agressif de tout à l’heure. Il pense que c’est à cause de ce qui s’est passé en jouant que je suis dans cet état.
Mais non. Je lui crie tout. Je lui pleure tout. Toute la souffrance que j’ai accusé face à lui durant toutes mes années. Qu’il m’a toujours méprisé. Toujours traité et regardé comme une merde. Une indésirable. Que j’en ai toujours souffert. Que ça m’a atteint. Voilà ce que je lui pleure dans la salle de bain. Tous les deux de profil dans le miroir. Comme dans un film. Comme une scène de drame. Drame familial qui explose dans une salle de bain. (Comme quelqu’un qui vomit sur le tapis car il n’a pas eu le temps d’atteindre la cuvette des toilettes. C’est exactement ce qui se passe.)
Il me prend dans ses bras, mon frère. On s’étreint en pleurant. Mon frère. Il me dit qu’il m’aime, mon frère. Et m’embrasse maladroitement sur la joue. Il me dit que je lui fais de la peine. Qu’il ne se rappelle pas tout ça. Tout ce qu’il m’a fait subir. Mais qu’il est désolé.
Il m’explique que pour lui, c’est le contraire. Que s’il a été dur avec moi, c’est qu’il savait de quoi j’étais capable, et qu’il voulait me pousser, de cette façon là. Mais je lui réitère que moi, ce n’est pas ce dont je me rappelle ni ce à quoi je fais allusion. Je lui fais part du cauchemar que c’était de vivre sous le même toit que lui. Il ne se rappelle pas. Mais me croit bien sur. Et est désolé.
C’est dur de voir mon frère pleurer.
Mais nécessaire.
Ce qui s’ensuit se poursuit hors de la salle de bain. Il dit qu’on ne vas pas continuer à parler de ça dans la salle de bain. On va dans le salon. Ma soeur est toujours là. Et il est tard.
Mon frère parle longtemps. De la filiation. De son mal-être et de la haine qui l’a habité jusqu’à il y a peu. Sa haine de la filiation. De papa surtout. Il me parle de ce qu’il pense de maman, de tout ça. Il m’épargne. Sa vision de la famille est trop pessimiste. Et ça me rendrait triste. "Je suis déjà triste", je lui dis. Mais je comprends. Il a souffert aussi. Il est très sensible à la filiation. A l’éducation qu’il a reçu. Aux erreurs de nos parents. Il m’explique qu’il a compris que papa était un type bien. Un homme bien. Et qu’il aime papa. Qu’il adore papa. Qu’il donnerait sa chemise pour lui. Mais que ce n’est que maintenant qu’il peut dire ça. Parce-qu’il a fait un travail sur lui. Qu’il a évolué. "J’ai changé, il me dit". Et pour la première fois, je le vois. Il a changé, il n’est plus habité par la haine. Je le vois. Je le crois. Je suis soulagée. Aliviada. Comme un poids qui s’envole de ma poitrine. Pour ne jamais revenir. Je le sais. Il me dit que c’est l’amour qui le porte à être avec nous aujourd’hui. L’amour. Je pleure encore. Moins que tout à l’heure. Pas à étouffer. Mais l’émotion me submerge. D’entendre tout ça. D’encaisser tout ça comme un choc. Une décharge.
Ma soeur me pousse à parler aussi. A dire à mon frères les choses que j’attends de lui; s’il me manque, si je voudrais le voir plus, si je voudrai avoir plus de nouvelles de lui. Je dis moi, que je n’attends rien de lui. Je veux juste que les non-dits se débloquent. Et comprendre pourquoi ! Pourquoi toute cette souffrance.
Encore une fois, mon frère explique ça par la filiation.

On parle longtemps et peu.

La copine de mon père s’est réveillée et entre dans le salon. çA me frustre car pour moi la discussion n’est pas clause. Pas claire.

Très tard, au petit matin du 25 déjà, on va se coucher. Mon frère et moi partageons la chambre de notre nièce qui n’est pas là. On dort sur des matelas par terre. On chuchote. Comme quand nous étions petits. Il me fait écouter de la musique inconnue sur son lecteur MP3. Je vois que son lecteur est un petit truc pas cher. çA m’attendrie. çA me serre le coeur.( Et voilà que je pleure tout en l’écrivant.) Il a son petit lecteur MP3 et moi je l’aime tellement. C’est douloureux d’aimer à ce point. C’est dangereux d’aimer à ce point. Mon coeur se serre à la vue de son petit MP3.
On écoute de la musique inconnue. Qu’il m’explique. On a chacun un écouteur dans le noir. On est allongé. On écoute la musique. Une composition à lui, aussi. Puis encore de la musique. Une musique que je ne connaissais pas. Conceptuelle. çA pourrait être n’importe quoi. On est couché dans le noir. On est petits. Le temps a passé. On ne le rattrapera pas. Mais on est juste là. Tous les deux. Et alors je lui dis, tout en m’endormant : "c’est de la musique à l’envers". Il rit tendrement. "Oui c’est ça, il dit. C’est carrément ça".
Instant de grâce. Je m’endors en l’aimant fort.