Journal de fin de jeunesse

Fille qui court avec les loups

J’ai commencé le livre bouleversant de Clarika Pinkola Estes; Femmes qui courent avec les loups (que soit dit en passant je recommande à toutes les femmes qui veulent renouer avec leur nature profonde, instinctive et créative. Toutes les femmes qui ne veulent pas ou plus "se perdre" dans une société qui nous inhibe et nous brime.)
C’est en mars dernier, à l’anniversaire de So' que j’avais eu pour la première fois connaissance de ce livre. Ses copines le lui avait offert comme cadeau. Avec Fanny on avait lu le résumé et on s’était dit :"Whaouuu, ça a l’air excellent!".
Plus tard, alors que je travaillais encore chez A.G, une cliente dans la boutique tenait ce livre sous le bras. On en avait discuté. Elle m’avait dit que c’était extrêmement remuant, bouleversant, qu’elle avait du mal à le lire tellement ça chamboulait, à l’intérieur. Tellement ça touchait à quelque-chose de fort et profondément ancré en nous…

Depuis, j’ai acheté ce livre. J’attendais pour le lire. J’attendais quoi ? J’attendais d’être diplômée, d’en avoir fini avec l’école. J’attendais d’être enfin libre de toute contrainte intellectuelle pour m’adonner à cette lecture pleinement. D’être libérée de mes obligations infantiles pour enfin me sentir libre d’entrer dans un livre qui allait apparemment révolutionner ma vie.
Alors, il y a peu, en début de soirée, je l’ai commencé.
Et dés l’introduction j’ai pleuré. Parce-que l’auteur touche à ce qui fait mal. Ce qui dors, refoulé en nous; par peur, par obligation, par mimétisme, par devoir et par contrainte sociale.
Elle touche à ce qui est l’essence même de la pleine féminité : notre nature animale, sauvage, magique, créative et puissante. Cette nature que, génération après génération, on nous a appris à faire taire, à cacher. Si bien qu’aujourd’hui, nous n’en avons pas ou plus conscience. Et nous vivons frustrées et incomplètes; conscientes qu’il nous manque quelque-chose, conscientes que l’on manque quelque-chose et que l’on se manque soi-même, mais incapables de comprendre d’où vient ce sentiment de perdition et comment y remédier.
N’est-ce pas le lot de toutes les femmes ? Quand on y réfléchit sincèrement ? Quand on se penche dessus avec humilité, sincérité et sentiment ? N’est-ce pas commun à toutes, cette sensation d’incomplétude et d’attente de quelque-chose ?

Le livre nous parle de ça. Et à travers des histoires et des contes, tente de nous faire renouer avec cette nature profonde perdue en nous. Cette femme-louve. Cette magicienne. Cette amie et bienfaitrice. Qui hurle et cherche à nous appeler, à nous faire signe avant qu’il ne soit trop tard. Qui nous cherche comme nous la cherchons, sans savoir ce que nous cherchons. Cette mère et alter-égo puissante qui veut nous montrer, avant qu’il ne soit bien trop tard, comment composer avec elle. Comment établir une relation avec elle. Comment la regarder en face et l’accepter pour enfin être vivante et créative. Pour enfin vivre comme nous le devrions toutes, avant que la vie ne se termine et que nous n’ayons jamais vécu comme nous l’aurions du; en renouant avec ce nous-mêmes du début des Temps. Ce nous-même aimant, ami, que la société siècle après siècle a enterré pour nous asservir. Nous faisant croire à nos propres vies comme vraies, alors que toutes ces années, nous vivions un semblant de vie…

çA m’a ému. De penser à cette femme-louve en moi. Qui m’appelle. Qui veut que je la vois. Qui cherche mon amour. Rien que d’y penser et de l’écrire, j’ai des frissons.
Parce-que c’est tellement vrai. Tellement évident. Tellement essentiel. A mes yeux, maintenant, je ne pourrai plus vivre sans. Je dois continuer à la faire remonter. A l’apprendre. A la laisser venir et s’exprimer.

Le premier sentiment que j’ai eu en commençant ce livre, c’est de la peur : Peur qu’il soit trop tard pour moi. Que je l’ai enterré à tout jamais. Peur que ma femme-loup soit morte, ou endormie pour toujours. Parce-que, c’est vrai, ma vie n’est pas pleine ou créative ou vive. Elle est morne. Je rentre du travail, et je mange et regarde une série. Et c’est terrible à réaliser. Voir que je ne fais rien d’autre. Rien de créatif. Que je ne m’accompli pas. Dans rien. Que je me suis perdue en route.
Le premier sentiment que j’ai eu c’est ça, comme une évidence; la peur.

Et j’ai réalisé assez vite et assez graduellement que je me trompais.
Ma louve est bien là. Et ce qui me le montre, ce qui me le prouve, c’est mon hypersensibilité, mon hyper-réactivité et mon hyper-conscience de la vie et de son caractère sacré. Voilà pourquoi je ne mange plus de viande ni de poisson. Voilà pourquoi je dis merci aux arbres et je pleure quand on les coupe. Voilà pourquoi je n’aime pas le papier; synonyme de la mort des forêts et que depuis l’enfance, les photocopies à outrance me mettent en colère ! Voilà pourquoi j’écoute le froid et je remercie la vie de pouvoir le sentir sur ma peau, plutôt que de le plaindre qu’il fait froid. Voila pourquoi j’ai mal à en crever pour les autres et pour les gens que j’aime quand ils ont mal, au point de ne plus pouvoir respirer. Voila pourquoi les autres et moi, c’est pareil. Voilà pourquoi, à mes yeux, un arbre un poussin ou un homme, c’est pareil. Il mérite tout autant qu’on le respecte et qu’on l’aime.
Et je suis tellement heureuse d’avoir cette conscience si sensible de la vie. Je le vois comme une cadeau. Un don qui m’empêchera toujours de me perdre et d’oublier qui je suis. Un don qui m’empêchera de perdre ma nature et mes valeurs.
Cette hyper-sensiblité, cette hyper-conscience, d’autres pourraient le voir comme un fardeau, parce-que c’est vrai que ma souffrance est exacerbée. Les choses qui arrivent m’atteignent avec violence, me font suffoquer, la douleur me terrasse et l’absurdité du monde ne me laisse pas en paix et m’étouffe. J’ai toujours du mal à me remettre des choses qui arrivent. Mais malgré tout, c’est ça qui me donne la force de continuer à croire en mes convictions et à agir dans ce sens.
Par exemple, hier je suis allé voir le film de Luc Jacquet Il était une forêt. Dés les premières images, j’ai été submergé par l’émotion et les larmes. Mon attachement à la beauté du monde, à l’indiscutable essentialité des forêts et des univers naturels remonte à l’enfance. Enfant, je souffrais quand un camarde de classe cassait une branche, donnait un coup de pied dans un arbre ou jetait des graviers sur un chat fatigué. Faire face à la naissance d’une forêt dans le film m’a subjugué. Mais surtout faire face à sa mort orchestrée par l’homme m’a détruite, une fois encore. Car c’est un être vivant, sensible et essentiel qu’on assassine.
Et encore une fois, c’est nous-mêmes que nous assassinons en massacrant la nature.
Je me suis sentie rassurée hier, de constater que mon amour et ma considération énorme pour la Vie est intact. Et donc, que me louve est bien là. Blottie dans mon ventre. M’enveloppant de sa chaleur et de sa vérité.

Tout le monde devrait lire ce livre. Pas que les femmes. Il ne ma fallut que quelques pages pour comprendre.
Et maintenant je vais renouer avec la louve les liens indispensables à ma vie humaine, avant qu’ils ne se rompent.
Qu’ils se rompent comme ils sont rompus chez beaucoup trop de gens.
C’est incroyable de lire quelque-chose comme ça, qui exprime par des mots ce que j’ai toujours ressentie dans ma chaire. Et que j’avais essayé de retransmettre grâce à mon tatouage (des pattes de loups dans le dos) il y a quelques années...
C’est ce que j’ai dis à Fanny l’autre soir après le théâtre : "C’est incroyable ! C’est comme si une femme traduisait pas des mots ce que j’ai toujours sentie sans bien pouvoir l’expliquer ! C’est comme si mon tatouage trouvait enfin son explication structurée!"