Journal de fin de jeunesse

Illusions

J’ai encore fait un cauchemar, gluant et humide, infesté de crocodiles. Les crocodiles nageaient dans un fleuve boueux. Je les observais; gros, préhistoriques, terrifiants. Certains, très gros, mangeaient d’autres crocodiles plus petits qu’eux. Ils les croquaient, les dévoraient, en commençant par la tête. Ils commençaient par croquer la tête. C’était une horreur pour moi. C’était glaçant et effrayant d’assister à ça.
Puis, je constatais qu’un hippopotame nageait, lui aussi, dans le fleuve. Il hébergeait son petit dans sa gueule. Un petit hippopotame très mignon. Mais un énorme crocodile arrivait par derrière, et commençait à croquer l’hippopotame par derrière sa tête. Il arrachait des bouts de tête de l’hippopotame jusqu’à finir par arriver à l’intérieur de sa gueule, où le petit se cachait. C’était affreux, j’imaginais la douleur atroce de l’hippopotame silencieux, sans pouvoir rien faire.
Je me suis encore réveillée très tôt et toute angoissée. A bout de souffle.
J’ai de mal à comprendre mes rêves, peuplés d’animaux marins et de cannibalisme…

Hier, je n’ai pas revu le serveur. Ni vendredi d’ailleurs… Je me serais encore fait des illusions.
Je suis rentrée chez moi. Déprimée. Avec cette certitude affolante que je finirai seule. Dans cette certitude là, trop ancrée en moi pour être passée à la trappe. Pour être jetée au loin. C’est terrible de penser ça, de croire ça. De : sentir ça. De sentir que je finirai seule, que je ne trouverai jamais quelqu’un qui veuille aussi de moi. Que je n’arriverai jamais à me mettre en couple, et à partager ce que je suis avec quelqu’un. Si seulement je pouvais ne pas croire à ça. A cette vérité qui s’est imposée à moi. Mais j’y crois. Et encore une fois la vie me le prouve...
Je pense que je ne l’ai pas revu car il a du penser que j’étais folle de m’imaginer je ne-sais-quoi pour de simples sourires, de simples coucou, un simple clin d’oeil..... Il a du penser ça : que j’étais folle et pathétique. Et c’est pourquoi il a décidé de ne plus venir saluer une folle; pour ne pas alimenter les délires tordus d’une folle.
Voilà, c’est mon interprétation à son absence d’hier et d’avant hier. Je me trompe peut-être. Mais j’interprète tout, toujours, de la manière la plus négative pour moi. De la seule manière que je connaisse : celle qui me conforte dans mes certitudes. Et qui prouve que ce que je crois être des perspectives de bonheur pour moi ne sont que des illusions.
Je sais bien qu’à penser comme ça, j’alimente ma malchance et je suis responsable de ce qui m’arrive. çA doit se voir sur moi, que je pense comme ça. çA doit empirer les choses.
C’est malsain. Penser comme ça, c’est une barrière que j’érige toute seule. Je me barricade toute seule derrière ce mode de pensée tordu… Enfin je crois. (Enfin j’espère, car si ce n’est que ça, je peux le corriger.)

Il s’est passé quelque-chose d’étrange hier au boulot. Il y avait des Arabes dans la boutiques (Quatars ? Saoudiens ?). Ils sentaient les parfums. Je n’était pas spécialement aimable car ils me mettaient un peu mal à l’aise, dans ma ridicule petite robe noire moulante. L’un d’entre eux a soudain fait tomber des graines de café par terre. çA m’a agacé...
Mais en partant, l’un de mecs m’a tendu un billet de 20 € et m’a remercié de les avoir renseigné. (Alors que je n’avais pas fais grand chose.) J’ai dit que je ne pouvais pas accepter et je lui ai redonné le billet. Son acolyte ou garde du corps m’a dit que je ne pouvais pas refuser. Je me sentais extrêmement gênée. J’ai accepté le billet maladroitement, en rougissant, tandis que les hommes me remerciaient encore et s’excusaient pour le café tombé. Ils sont partis. J’ai regardé ce billet comme un objet non-identifié. Eberluée. Les filles m’ont rassurés; c’est culturel. C’est comme ça chez eux. Là bas. C’est très poli. Trop poli je trouve. Embarrassant à mes yeux occidentaux. La première chose que j’ai pensé et senti, je m’en souviens, c’est "Prostituée". Je me suis senti comme une prostituée.
Mais bon, j’ai positivé après. 20 € c’est cool. Plus mes pourboires de la journée, j’aurais gagné 30€ !

Une journée pas si naze.
Sauf que je n’ai pas vu le serveur.
Et que ça a alimenté mes délires torturés...
Pourquoi je pense comme ça ? Pourquoi je suis aussi dure avec moi ?