Journal de fin de jeunesse

Les jolies choses

1)
Mardi soir, on a fêté la fin des examens trimestriels avec les filles. Avec Audrey, Cé. et Co.
Le lundi, la veille, je leur avais fait par de mon intention de les photographier. De faire des portraits d’elles et tout ça.
çA les avait un peu énervé. Un peu soûlé. Un peu contrarié. Mais une contrariété souriante. Complice. Faussement agacée.
Elles avaient râlé. Que du coup, elles allaient devoir se "mettre en mode", comme elles disent. ça signifie "se faire belle", "faire un effort sur la présentation"... Et moi, rien que ça, ça m’avait fait plaisir. Déjà.
Et le lendemain, quand je suis arrivée , je les ai vu. D’abord j’ai vu Cé. Extrêmement bien maquillé. Jolie. J’ai été touché comme je ne m’y attendais pas. Puis j’ai vu Co., pareille. Bien jolie. Apprêtée. Enfin, Audrey est arrivée. Elle aussi, plus fardée que d’habitude.
Je me suis senti tellement touchée. D’être prise au sérieux comme ça, par ces filles plus jeunes que moi. Touchée que, tout de suite, elles aient fait l’effort et jouer le jeu d’être mes modèles. Et ça, juste parce-qu’elles savent vaguement que la photo est ma nouvelle passion.
J’ai trouvé ça amical. Attentionné. J’ai trouvé ça joli dans tout ce que ça a de simple et d’inattendu. Inattendu.
Je ne m’attendais pas à ce qu’elles me témoignent cette amitié là.

On a passé une très bonne soirée en plus.

2)
En face de la boutique, sous les arcades, il y a depuis quelques temps un monsieur sans abri qui passe ses journées à vendre des journaux. Il a installé en face de nous un petit stand à journaux ambulant. Fait de bric et de broc. De cartons et de conserves.
Parfois, je lui achète Libé. Ou Marie-Claire (comme hier). J’ai énormément de peine pour lui. Je sais qu’il n’a pas toujours été à la rue. Que c’est un coup du destin. C’est très triste. Et très grave.
Tous les jours, on lui apporte un café ou un thé bien chaud avec des petit gâteaux. Il est toujours très ému et très reconnaissant. Le midi, E. (ma chef) lui apporte une soupe… Et le samedi soir, elle lui donne 2 tickets restau.
Moi, j’aimerais tellement pouvoir faire plus. Plus que le café et les gâteaux que je lui apporte les vendredi et samedi quand je suis au travail.
Des fois, il se fait virer par la police. Parce-qu’il n’a "pas l’autorisation pour vendre ses journaux"...... À chaque fois, j’ai envie d’éclater leur gueules dans le caniveau. Comme dans le film dont j’ai oublié le titre. Ils arrivent avec leur air inconsciemment stupide et inutilement arrogant, et lui disent de bouger. J’ai envie de leur hurler dessus. Tellement je suis indigné. Leur hurler qu’ils sont mauvais. Mauvais bien au fond, et bêtes, de virer un homme qui ne fait de mal à personne, qui est honnête et essaye de survivre, alors que dans tous le quartier, des tas de Gitans volent les gens toute la journée sous nos yeux en leur faisant le "coup de la bague" (entre autre), que ce sont des actes malhonnêtes et condamnables et que là, ils ne font rien!!!!! ! çA m’enrage complètement.
C’est indigne.
Enfin, ce monsieur là, l’autre jour, je le voyais, assis dans le froid contre son stand à journaux. Il lisait. Il lisait La délicatesse, de Foenkinos. Dans la misère, l’insécurité et la menace policière. Dans le froid et dans la faim. Parmi les voleurs du quartier qui me font honte. Ce monsieur que la police vire scandaleusement pour "non-autorisation" lisait La délicatesse.
J’ai été ému. Profondément. Cette image m’a secoué. J’ai trouvé qu’elle était un symbole. Très fort. Du triomphe de l’humanité contre toutes les répressions outrageuses et honteuses.
J’ai trouvé ça joli. Dans tout ce que ça a de poignant et de poétique.

3)
Hier, j’ai eu le souvenir de maman. Celui qui me bouleverse toujours le plus.
Le souvenir des samedi après midi; maman travaillait les samedi, jusqu’à 16h30. Puis elle rentrait à la maison. J’aimais ce moment. Tellement rassurant. Familier. Enivrant et apaisant. Ce moment où, vers 17h00 ou un peu avant, j’entendais maman ouvrir la porte d’entrée. J’entendais le bruit de ses talons qui claquaient sur le carrelage blanc se répandre dans toute la maison. J’entendais ce bruit là se répandre comme un tintement joyeux et délivrant. Maman comme une délivrance. Ses talons petits et carrés claquant sur le carrelage blanc.
Je descendais alors dans le couloir. Atteinte dés l’escalier par les effluves dorées de son parfum. Diva...
Ce parfum jamais oublié. Qui m’atteignait dés les escalier. Qu’elle répandait partout. Comme le bruit de ses talons qui claquent. Ce parfum aussi enveloppant que son long imper jaune pâle. Son imper de mimosa fané. Qu’elle quittait avec opulence dans l’épaisseur opaque de sa présence caressante.
Hier, j’ai eu ce souvenir là. Le souvenir du bonheur inégalé.
L’arrivé de maman les samedi, comme la libération d’un fou rire contenu. Comme, encore, le soulagement des retrouvailles après une séparation que l’on pensait définitive.
Le souvenir sublimé par la mort, bien sur. Mais le souvenir quand même. Le plus doux et le plus chaleureux de mon enfance et même d’après.
J’ai pensé à ça hier. Et j’ai trouvé ça joli. Dans tout ce que ça a de triste et de tragique.