Journal de fin de jeunesse

Gazpacho

Recette (Par moi, Anne L.)

- Une tranche de pain sans gluten, sèche
-Deux cuillères à soupe d’huile d’olive
-Une cuillère à soupe de tofu soyeux
-Deux tomates et demi
-Une demi poivron
-Un demi concombre
-Une pincée de piment de cayenne
-Une cuillère à café de persillade

Donc, j’ai broyé la tranche de pain (préalablement trempée dans l’huile d’olive) au moulin. J’ai mixé ledit pain avec le tofu soyeux, les tomates coupées en petits morceaux, le concombre coupé, lui aussi, en petits morceaux et le poivron coupé en encore plus petits morceaux. Non sans oublier l’huile d’olive, le piment et la persillade. J’ai mixé le tout une minute. Et : ça m’a l’air pas mal du tout.

C’est ma recette. Je viens de la mettre au point.
Ce soir avec Maly on se fait un picnic à la Vilette en profitant du cinéma en plein air.

Je suis allé nager ce matin. 45 minutes. Après c’était plus possible. Il y avait trop de monde.
Je suis donc allé bronzer, tout en lisant un livre qui vient de sortir, sur la photo. Très intéressant.
Mais : très vite, il y a eu trop de monde. Un amas compact de chaire étalée. Amoncelée. Dans le petit parc. Le petit parc ridicule. Et déplaisant quand il est saturé comme ça. Saturé de cet amas là. Cet amas de chaire épais. Grossier. Plus ou moins flasque. De chaire agglutinée. Et dont je faisais partie. Tout à l’heure. Avec horreur. Avec une consciente horreur; celle d’appartenir moi aussi à cette masse épaisse et gélatineuse. Dans l’horreur ce cette appartenance là.
Tous; comme des hommes proches de la mort. Hébétés de chaleur. Vautrés au Soleil. Vautrés dans l’attente de notre propre mort. Qui viendra, et l’ironie se cache dans ce recoin là. Qui viendra sans aucun doute de l’objet même de notre amoncellement empressé dans le petit parc.
J’ai pensé :" C’est comme si on brûlait un peu déjà".
J’ai pensé que c’était morbide. Et grotesque. Et sûrement un peu triste. Et toute l’horreur de la situation m’a atteint.
C’est alors que je suis partie.

Partie. Prendre une douche très fraîche et un shampoing. Me masturber en pensant à J. le photographe.
Et puis mettre de l’huile pailletée sur ma peau. Préparer le gazpacho. (Je voulais aussi préparer ma soupe de fraise menthe-gingembre, mais je n’ai pas de fraises. Ni de menthe.)
Et, là, je vais sortir pour aller voire l’expo photo que m’avait conseillé J. le jour du cimetière et de la toile d’araignée amoureuse.
(J. le photographe. Qui est en vacance. Et auquel j’aime penser.)
Ma soeur devait m’accompagner. Mais comme je m’en doutais elle m’a fait faux-bond. Parce-qu’il fait trop chaud.
Je vais donc aller voir cette expo seule. C’est le dernier jour aujourd’hui. Mais ça m’intimide. C’est comme si j’allais le voir lui. Un peu. Il ne saura pas que j’y suis, à cet instant là. Mais moi, j’aurais honte de regarder les photos (certaines qu’il m’a même montrés) qu’il a lui même regardé. Honte de poser mes yeux où les siens sont passés, déjà. Honte de me dévoiler à ce point là. Honte de me sentir troublée par sa présence à ce point là. Alors qu’il n’est pas là.
C’est comme si l’expo elle même allait rire de moi. Comme si elle m’attendait pour se moquer de mon "inclinaison" envahissante. Comme si elle savait bien, au fond, que je venais la visiter pour le saisir lui, un peu. Comme si toutes les personnes travaillant à la galerie attendaient de me voir arriver. Et, en me voyant, allaient se mettre à murmurer "C’est elle, c’est la fille." . Et puis, qu’ils allaient se mettre à chuchoter, à m’observer, à ricaner entre eux. De connivence. Parce-qu’ils "savent". Comme un secret bien drôle. "Tu sais quoi, j’en ai une bien bonne..." Comme si, oui, l’expo le savait; que je venais pour le saisir lui. Pour saisir le moindre petit fragment de lui. La moindre petite parcelle. Même si ce n’est que le souvenir de ses pas et de son regard. Son regard qui est passé par là.
Et qui me fera rougir. Et baisser les yeux.