Inceste
C’est une belle et froide journée d’automne. çA y’est, j’ai allumé le chauffage.
Ce matin je suis : dans la lumière d’automne, dans vent et les feuilles mortes lumineuses, qui tourbillonnent près du sol.
Ce matin je sors de ma séance de thérapie. Thérapie rime avec automne. Car l’automne, c’est là que je me sens le plus vulnérable. La plus vulnérable. La plus seule.
Je me dis que si j’en avais la volonté, je sortirai avec mon appareil photo, profiter de cette lumière et la figer dans les images. Mais je n’ai pas de volonté. Ce matin.
Ce matin ce que j’apprends lors de ma séance de thérapie me foudroie. Me désole. Me fatigue d’avance :
Je ne m’aime pas. Ne m’aime pas. Et donc, ne me respecte pas. Alors comment attendre de quelqu’un qu’il m’aime si je ne m’aime pas ? Comment attendre le respect de quelqu’un si je ne me respecte pas ? Pourquoi attendre l’amour de quelqu’un si je n’en suis pas digne ?
J’ai mis du temps à le dire. A le sortir de moi. A le dire à cette femme en face de moi. La séance tournait autour de ce que je voulais dire, sortir, sans jamais se stabiliser. Alors, pour ne pas perdre plus de temps, je l’ai dis. Je le lui ai dis. J’ai dis le mot. Inceste.
Le comportement de la thérapeute a changé. Elle a eu l’air de comprendre quelque-chose qui jusque là lui avait échappé. (à moins que jusque là, ça ne m’ait échappée à moi.) Elle s’est mise à s’agiter dans la pièce. Teintant l’ambiance déjà pesante d’une aura dramatique. Qui m’a fait prendre conscience de la gravité de la chose comme jamais je n’y avais pensé. Toute cette agitation, reflet de l’agitation intérieur de la thérapeute, m’a mise face à la chose avec violence. Une violence que cette fois, je n’ai pas pu refouler. Parce-que pour la première fois, en parlant de l’inceste, mes larmes ont coulés.
Avant, j’ai toujours eu tendance à minimiser la chose. A disculper mon frère, pour son jeune âge. J’ai toujours eu tendance à enterrer tout ça au fond de moi. A ne pas y prêter attention. Après tout, j’avais 6 ou 7 ans. Et lui, 5 ans de plus que moi.
Mais ces larmes qui ont coulés ce matin, sans que je ne m’explique pourquoi, je pense que je dois les prendre au sérieux. Je pense qu’elle témoignent d’un mal qui m’affecte plus que je ne le crois. Je pense que, même si ça a été et va être douloureux, je pense que j’ai enfin osé mettre le doigt sur un tourment réel. Je pense que ce matin j’ai réussi quelque-chose de courageux.
Maintenant, j’ai honte. J’ai peur que par honte, je décide de ne plus retourner voir ma thérapeute. Mais alors, ce serait tellement lâche. Et tellement dommage...
J’ai commencé. Je dois continuer.
Si j’exorcise ça, cet infime évènement que je n’ai jamais pris le temps de regarder en face, je réussirai peut-être à me libérer de mes blocages, de mes mauvais choix en amour, et de mon asservissement constant dans le domaine de la sexualité.
Tout est parti d’une conversation jeudi soir, alors que je dînais avec So et Fanny, mes meilleures amies. Nous étions dans un bistrot corse. Nous nous gavions de fromage. Le sujet s’est orienté vers mon célibat et mes constantes déceptions amoureuses, dont la dernière en date : BoBo.
So a suggéré que selon elle, je me tournais de toute façon toujours vers des hommes malsains pour moi. Des hommes qui me traitaient mal. M’humiliaient. M’asservissaient, d’une certaine façon. Chose que j’acceptais toujours. De moins en moins, mais toujours un peu. Elle m’a dit : "tu te tournes vers des hommes qui ressemblent à ton frère."
Et jeudi soir, je n’ai plus réussi à le nier.
D’après ma thérapeute, c’est normal de se tourner vers des personnes qui portent en elles nos repères familiaux. Car c’est ce qu’on connait. Ce dont on a l’habitude. C’est comme ça qu’on fonctionne : par rapport à nos schémas familiaux. Après, il faut savoir s’ouvrir à d’autres choses. Avoir le courage de se tourner vers des gens qui ne reflètent pas notre cocon familial.
Enfin cocon...
C’est après ce discours, vrai mais incomplet dans mon cas, que j’ai parlé de l’inceste.
Puis, nous avons fait un exercice qui consistait à m’auto-masser deux points de shiatsu sous mes clavicules en m’auto-répétant : "je m’aime et m’accepte, avec mes problèmes". Ou quelque-chose comme ça.
Mais comme je n’y croyais pas, à cette phrase, je n’ai pas réussi à faire cet exercice. Elle m’a demandé pourquoi je n’y arrivais pas. Je lui ai répondu que je ne pouvais pas affirmer quelque-chose auquel je ne croyais pas.
C’est à ce moment là qu’elle l’a dit : " Comment voulez-vous être aimé si vous ne vous aimez pas vous-même ? Comment voulez-vous qu’on vous respecte si vous ne vous respectez pas ? Si vous n’avez pas d’estime pour vous, vous accepterez qu’on ne vous respecte pas et donc qu’on vous assujettisse ! Puisque de toute façon vous ne valez pas mieux!"
çA m’a fait très mal. Et très peur. Comprendre que je ne m’aime pas. Mais je ne sais pas comment faire pour que ça change. Si je me mets à me dire que je m’aime, j’éprouve une sorte de dégoût, de répulsion, que je ne peux pas m’expliquer.
J’ai été aimé et valorisé par mes parents. Je le suis par mes amis. Je le suis au travail quand des clientes me disent "merci...". Je l’ai été par un homme. Alors quoi ? Juste parce-que j’ai été dénigré toute mon enfance par mon frère, niée, rejetée, juste à cause de lui, je ne m’aimerai pas ?
Et puis, juste à cause d’un infime évènement, je mériterai d’être assujettie, dévalorisée ?Je ne vaudrai rien ?
Je me demande encore comment un si petit évènement, si bref, peut avoir influencé ma vie à ce point. J’ai du mal à y croire. Mais mes larmes douloureuses, elles, elles disent quoi ?
(Après avoir refoulé la chose toutes ces années en disculpant mon frère, dois-je aujourd’hui l’incriminer ? L’incriminer pour enfin exorciser ce truc malsain ?)