Journal de fin de jeunesse

Miel, raisins, vin et chocolat

Il y a des bonnes choses. Des belles choses. Des choses qui valent la peine qu’on soit en vie.

Un moment plein d’humanité, comme je viens d’en vivre il y a quelques instants; je revenais chez moi après être passé à la banque et à la bibliothèque. Il faisait déjà nuit. J’allais traverser la route quand un vieux monsieur m’a interpellé doucement. J’ai retiré mes écouteurs, avec politesse. C’est un vieux monsieur qui a énormément de mal à marcher. Il se déplace à la vitesse d’un escargot. En faisant : de tout petits pas. J’ai toujours de la peine quand je le croise. Et je me demande toujours où il va comme ça, et dans combien de temps il y arrivera. C’est toujours devant la boulangerie que je le croise. à l’angle de ma rue. Celle où il font de redoutables éclairs au spéculos…
Et c’est ce soir, alors qu’il ne faisait pas froid, qu’il m’a interpellé. Il m’a demandé si je voulais bien l’aider à traverser la rue. Bien sur, je voulais bien. Je lui ai dis "Oui, si vous voulez.". Il m’a dit que c’était si je voulais moi. J’ai rigolé. Je lui ai pris le bras. On a discuté. Une rue que je mets d’ordinaire 4 secondes à traverser, on a mis 3 minutes. En arrivant sur le trottoir d’en face, je me suis proposé de l’aider jusqu’à la deuxième rue qu’il devait traverser. "Je ne veux pas vous faire perdre votre temps." il a dit. Mais je lui ai répondu que le temps n’est jamais perdu.
Je lui ai demandé si il avait des enfants. Ils ne viennent presque jamais le voir. Il est tout seul. Mais il n’est pas triste. Il accepte sa vieillesse et sa pauvre condition avec beaucoup de sagesse j’ai trouvé. çA m’a rassuré en un sens. Rassuré sur la vieillesse. "Ce n’est pas si terrible" je me suis dis, "si on l’accepte".
Ensuite, le vieux monsieur a parlé de la mort; de sa mort. Il a décidé qu’il valait mieux en rire. Et que le jour où ça arriverai, ben, il en rigolera. Quand il a dit ça, j’ai pensé à la chanson de Brel, Le Moribond, qui parle de sa propre mort, quand il chante "...et j’veux qu’on rit, j’veux qu’on danse..." J’ai voulu lui dire et puis je me suis ravisé.
Je lui ai posé beaucoup de questions. Puisqu’on a passé du temps ensemble. C’est l’arthrose qui l’empêche de marcher. Il ne va plus au cinéma parce-qu’il n’y a plus de beau film comme avant. Et les acteurs sont tous moches maintenant. J’ai compris ce qu’il voulait dire par "beau film".Et je crois qu’il a raison. C’est triste.
Arrivés dans sa rue, je l’ai laissé finir le trajet tout seul. Le coeur un peu serré. Pour ce vieil homme tout seul.
On passe vite dans la vie. On a pas le temps de comprendre que si, on l’est, vivant ! Que bam ! C’est déjà terminé. Et pendant tout ce temps, on a passé notre temps à nous à anticiper l’avenir. Et on a profité de rien.
C’est triste comme on vit.

Je ne veux pas que ma façon de vivre soit si triste. Si latente. (C’est d’ailleurs pour ça que j’ai très envie que BoBo me rappel. Chose qu’il a faite hier. Mais je n’ai pas entendu. Et pas décroché. Et alors : encore sa voix absurde sur mon répondeur).
Je pourrai me nourrir des choses les plus savoureuses et les plus saines. Ce que j’aime vraiment. Beaucoup : du miel, des raisins, du vin et du chocolat. Et aussi quand même, parfois, des pâtes au pesto.

J’ai envie que ma façon de vivre m’apporte constamment des plaisir immédiats. Plutôt qu’un attente sous forme d’épargne morbide.
Je veux m’acheter de belles choses. Voyager quand je le peux. Connaître des hommes qui m’apportent une complétude et un épanouissement que je ne peux atteindre seule que partiellement.
J’ai repéré une robe sublime chez Héroïnes; vert émeraude, ma couleur fétiche depuis que je suis plus ou moins rousse.
J’ai repéré de jolis bracelets. Et aussi des toiles cirées mexicaines dans une boutique latino-américaine.
J’ai repéré un pot de miel enrichi en magnesium pour se faire du bien.
J’ai repéré un institut de massages thaïlandais où ils réalisent des massages traditionnels aux pochons du Siam.
J’ai repéré des films que je veux voire. Des photos que je veux faire. Des animaux que je veux caresser. Un amant peut-être, que je veux exploiter.
Un amour ? Non. Pas encore. Parce-qu’avant de commencer avec l’amour, il faut en finir avec l’inceste.

J’ai peur. Mais je crois que finalement, je peux dire que je m’aime. C’est novembre que je n’aime pas.