Journal de fin de jeunesse

Je me pose des questions

Un jour ça va. Un jour ça va pas.
Je suis très instable au quotidien. Je confond intuition, perception et paranoïa.
Ma collègue, celle qui est jolie et asiatique, a été hospitalisé dimanche dernier. Elle a fait une paralysie faciale inquiétante et notre responsable l’a envoyé de force aux urgences. Et bon, j’ai eu ma collègue au téléphone le soir même; à l’IRM ils avaient vu une tache sur son cerveau. Une toute petite tache. Un petit point. Je n’ai pas su quoi dire quand elle m’a dit le mot "tache". Je me suis tu une seconde. Je l’ai juste trouvée impressionnante ma collègue, d’être à ce point sereine et calme en m’annonçant ça. Je me suis sentie hystérique comparé à elle.
Il s’est avèré, par la suite, qu’elle n’avait rien de grave. Mais moi par contre, ça m’a donné à réfléchir. Cette image fugace de ce que la vie peut être courte. Cette image subliminale. Cet apostrophe. Cette; mise en garde. "Prends garde ma jolie, toi aussi tu peux te réveiller un matin avec une petite tache dans le cerveau. Et alors. Alors.... qui sait ce qui arrivera!" Alors j’ai pensé. Pensé à fuir loin de cet engrenage du système laboral que je déteste. Que j’exècre. Ce système de la rentabilité, du profit, de l'initiative (dixit ma responsable) et des gens qui en veulent (des requins) que je déteste comme une folle. Que je déteste à la folie. J’ai pensé à ça. à tout ça. à Toutes les alternatives de vie qui s’offrent à moi si je décide de fuir ça :
-Vivre au Mexique en compagnie de mon saxophoniste à la peau douce. Partir le rejoindre là bas, l’aider dans sa boulangerie bio. Ouvrir un salon de massage à côté et faire des enfants, avoir des chats. Au Mexique.
- M’envoler pour le projet d’écovolontariat en Amazonie que l’association avec laquelle je suis déjà partie propose. Partir là bas au moins 3 mois en mission et aviser sur place. Comme m’a dit P. mardi midi alors que nous déjeunions dans un restaurant argentin :"si tu pars là bas, sur place, il va se passer des choses. Alors tu verras ce que tu feras..."
Bien sur qu’il va se passer des choses. Quand j’y pense, à ce projet en Amazonie, je me sens pousser des ailes. Après tout, n’est-ce pas un projet similaire qui m’avait fait pour la première fois m’intéresser à l’écovolontariat ? Je m’en souviens, maman était encore là et elle avait rit. "Pourquoi tu rigoles ? je lui avais demandé". "C’est de te voir si enthousiaste, elle avait répondu. "
Ma chère maman, si seulement tu pouvais voir que depuis, je suis déjà partie trois fois en mission de volontariat. Et qu’à chaque fois, ça a été des moments de bonheur simples et intenses. Mais peut-être que tu le vois. Peut-être que, d’où tu es, tu me vois à dos d’éléphant, ou en train d’hurler avec des jeunes loups la nuit, et que tu ris de plus belle. Heureuse et fière de me voir m’épanouir.
C’est drôle, j’étais partie pour écrire sur tout autre chose que sur maman et sur les projets d’écovolontariat qui m’appellent, et pourtant, c’est par là que me portent mes mots aujourd’hui…

Pour en revenir à ce que je voulais exprimer au départ, j’ai réfléchi, donc, à ces alternatives de vie loin du système carcéral, pardon, laboral, qui m’exaspère au quotidien. (En fait, laboral ne se dit même pas en français. Quand j’écris laboral, je veux dire le système capitaliste du monde du travail. Bref.)
Le Mexique incertain ? L’Amazonie provisoire ? Le chômage inenvisageable ? Le visa Vacance-Travail en Australie ?
Tout cela m’attire énormément. M’appelle. Me pousse à fuir. Des opportunités alléchantes. Scintillantes comme des sirènes esquissées à l’horizon assoiffée des marins perdus. Mais (je n’en ai pas le courage) je ne peux pas me le permettre maintenant. Je dois établir un plan. Mettre des sous de côtés. Beaucoup. Et surtout, être rassurante pour mes proches. Mon père surtout. C’est terrible comme la famille peut être un frein. Comme elle peut nous sangler avec force sans même esquisser un geste. Comme elle peut nous convaincre de ne pas partir sans même émettre un son, tant la puissance qui nous rattache à elle, teintée de bonne consience et de culpabilité, est intense. Enfin, là, je parle pour moi. Dans mon cas c’est ce que je ressens. Quand je pense à partir, à m’envoler, et que j’imagine quels sont les freins qui m’en empêchent, je pense : mon père. Pourtant il n’a rien fait le pauvre. Rien dit. Au fond je sais qu’il n’aurai d’autre choix que d’accepter n’importe laquelle de mes décisions. Et qu’il le ferait. Mais : c’est moi-même qui conserve ce lien. Ce rattachement infantile à l’autorité du père. Comme une sécurité que je n’ose m’avouer et qui dissimule aisément mon manque de courage. C’est tellement plus simple comme ça. (Et tellement plus anxiogène. Le temps passe, tic tac tic tac. Enfin c’est moi qui passe. Le temps n’a pas d’existence propre. Le temps ne "passe" pas, il ne peux pas bouger...)
Je comprends de plus en plus pourquoi à chaque fois que je pense à mon père, j’y attache l’idée de mort. Du moins je comprends en partie. J’ai mis du temps à comprendre. Mais c’est aussi grâce à ma psy. En gros, je rattache l’idée de mort à mon père à chaque fois que je pense à lui non parce-que je souhaite sa mort, mais parce-que je souhaite la mort de ce lien qui m’empêche justement d’enfin être libre de faire exactement ce que je veux ! Putain que c’est dur à entendre. Et puis je fais comment pour le faire mourir ce lien ? J’enterre mon père symboliquement ? J’ai recours à un marabout ?
C’est terriblement dur de s’autoriser à être libre. La famille… Au fond, peu de gens font vraiment ce qu’ils veulent. Ils pensent qu’ils ont été libres et qu’ils sont satisfait de leurs choix. Mais. Mais… finalement, lesquels de leur choix sont vraiment dictés par leur simple et pure libre arbitre ?