Journal de fin de jeunesse

Le dégoût

Avec les sous que papa m’a donné à Noël, je me suis offert un charmant collier chez Métal Pointu. La rue où je travaille est un potentiel gouffre financier en ce qui me concerne par rapport aux bijoux. D’ailleurs, comme un collier ne me suffisait pas, je me suis offert avec mon propre argent des boucles d’oreilles chez Satellite.
Au travail, j’étais monté aux toilettes. Et je regardais dans la glace mon nouveau collier. Qui remplace le collier M qui symbolisait Maman. Et je me suis dis qu’il était temps que j’enlève, mon M. Temps que je laisse partir maman. Que je la laisse enfin partir. Et j’ai eu très envie de pleurer. Parce-que, laisser partir maman, c’est trop triste. Mais je suis redescendue à la boutique tranquillement. Comme si je n’étais pas dévorée par la tristesse du départ de maman. Je me demande où est maman. Je me demande où on va quand on est mort. J’ai comme 8 ans.
Le petit collier que j’ai acheté est une suite de croix raz de coup.

Le rendez-vous que j’ai eu avec le garçon d’internet s’est avéré presque un cauchemar. Une blague. De toute façon, à la seconde où je l’ai vu, je me suis dis "ben en fait non." Il était comme sur la photo mais en moche. Repoussant presque. C’était lui et pas lui à la fois. Moi j’étais jolie. C’est ma So' qui m’avait coiffé le matin même. Car elle avait dormi chez moi la veille. Alors le dimanche, j’étais bien coiffée pour aller au travail. Un fin bandeau de strass autour du front, et mes cheveux rentrés à l’intérieur; un effet romantique et rétro à la fois. (J’ai brûlé mes mèches de devant l’autre jour, avec une bougie. Car je n’ai plus de lumière chez moi. Je m’éclaire à la bougie.)
Mais voilà. Entre une discussion bien trop lourde pour un premier rendez-vous (le sens de la vie et la place de la création dans celle-ci), un physique et une voix qui me repoussaient et une fatigue malvenue, j’ai cru rêver. Mal-rêver. Et il me parlait, parlait, parlait. Et il me repoussait dans les limites des conversations que je suis capable d’avoir sans trop me livrer, sans trop entraver ma pudeur. Alors je ne savais même pas quoi lui répondre. Tout ça était ridiculement pesant. Ridiculement inélégant. Il parlait énormément de lui tout en étant très curieux de moi. Mais je n’avais pas envie de lui livrer quoi-que ce soit de moi. J’avais envie de rentrer sous terre. De fuir loin de cette caricature de premier rendez-vous. Il me parlait de son goût pour l’écriture. Et le le trouvais ridicule. Je ne voulais pas savoir sur quoi il écrivait. Et la place que l’écriture avait dans sa vie. J’éprouvais du dégoût. Comme si lire ce qu’il écrivait allait alourdir encore plus l’image déjà pesante et désastreuse que j’avais de lui. Je ne m’explique pas pourquoi. C’est juste comme ça. Répulsion.
Le pire, c’étaient ses mains. Elles m’ont déplus à l’instant où je les ai vu. Grasses. Blanches. Avec des ongles petits, placés haut sur les doigts. Et légèrement rebiqués. Je déteste cette configuration d’ongles. Elle me rappelle les petites mains d’enfants un peu gros. Et ses mains; n’arrêtaient pas de toucher les miennes. Oui. Alors qu’on ne se connait pas. Que nous ne sommes pas intimes du tout. Que l’on se voit pour la première fois de notre vie. Et que cela n’a aucun sens. Ses mains se posaient constamment sur les miennes. Elles trouvaient constamment une brèche pour venir envahir ma zone de confort. Enfin, la zone de confort de mes mains. Et, poliment mais avec un peu de dégoût que je dissimulais derrière de la gène, je délivrais ma main de l’emprise de la sienne dés que l’occasion s’en présentait. Dans un ballet indépendant de nous et incessant. Et dégoûtant. Et grotesque. J’éprouvais vraiment une révulsion nauséeuse pour ce ballet des mains déplaisant. Déplacé. Comment n’a t-il pas pu le sentir ?
Je me souviens qu’à un moment, j’avais croisés mes mains sur mes cuisses en rentrant mes doigts vers l’intérieur. Mais dans un instant d’oubli, un de mes doigt a bougé. Et : sa main en a profité pour se jeter dessus. Uffff, le dégoût que je ressens en écrivant ça ! Je pensais : "Mais c’est ridicule tout ça." Je pensais, sans mots mais en images : "comme des petites créatures indépendantes de nous, avec leurs vies propres, qui se font la chasse."
Finalement, la soirée a pris fin. Il voulait aller se balader. Mais je voulais rentrer chez moi. J’ai évoqué le problème du dernier métro. Soulagée que ça prenne fin. Et terrifiée à l’idée d’être une fille intolérante. Figée. Incapable d’aller au delà de son idée première. Quand il m’a proposé de l’accompagner à un concert vendredi prochain, j’ai accepté. Incapable de faire preuve d’honnêteté car : dérangée par ma propre répulsion, inexplicable. Au fond, je savais déjà que je n’irai pas. Trop dégoûtée à l’idée de passer une soirée assise, à tenter de profiter d’un concert tandis que je ne saurai pas quoi faire pour rendre mes mains inaccessibles… Un cauchemar.
2014, je n’ai plus envie de me forcer à faire quoi que ce soit qui ne m’apporte pas de bonheur. Continuer à voir ce garçon, c’était me contraindre à faire des efforts que je devine inutiles de toute façon.
Alors aujourd’hui, quand je lui ai annoncé qu’on ne se reverrait pas, il l’a très mal pris. A été blessé et donc s’est montré blessant. Il m’a fait comprendre que je suis froide et fausse. Et que l’époque est vraiment horrible. Mais cette fois, au lieu de me remettre en question et de m’angoisser à mort, j’ai juste ressentie du soulagement. Et une confirmation; que ce mec a véritablement un caractère hystérique, possessif (les mains...) et plus qu’incertain.