Journal de fin de jeunesse

Ma soeur hait moi

J’ai passé la soirée chez ma soeur hier. J’avais ramené le dessert; une mousse au chocolat. D’une marque qui se dit éthique mais qui, j’ai vérifié, utilise des oeufs provenant de poules élevées en batterie. çA me dégoûte. Et je ne prends finalement aucun plaisir à en manger. Pleine de colère et de culpabilité. Mais je n’ai rien trouvé d’autre. J’ai aussi ramené des chocolats, pour Pâques. Ce qui s’est avéré un peu inconfortable à cause du diabète de ma soeur...
On a passé une excellente soirée. J’avais besoin de me détendre; je sortais de deux jours d’examens blancs.
On a passé une excellente soirée. A parler de tout et de rien. Au début. Puis à approfondir la conversation. Je suis, durant cette conversation approfondie, revenue sur notre dispute abjecte d’il y a deux ans. Cette dispute infondée, sortie comme un démon fumeux du mal-être d’alors de ma soeur. Je m’en souviens bien, de cette dispute là; haineuse et dénuée de sens. J’avais écrit dessus, il y a deux ans. Dans ce journal. De cette dispute, j’en étais sortie assommée. Blessée. Malheureuse comme une enfant abandonnée. Jamais. Jamais je ne voudrais repasser par cette dispute là. Cette dispute que j’ai tu pendant deux ans. Que j’ai enterrée sous la compassion et sous l’amour pour ma soeur.
Elle se terrait là, pourtant. Inviolée. Tabou. Et puisqu’hier on a décidé de parler sincèrement. De parler au delà des mots quotidiens. De parler de l’essentiel sauf de tout. Alors je l’ai déterrée, la dispute. (J’y pensais déjà, quelques jours avant hier. Et j’en pleurais, un peu. En toute discrétion.)
J’ai ravivé ce souvenir là. Aussi douloureux pour elle que pour moi. Et je m’en suis voulu. Abondamment. Voulue de lui faire revivre un moment aussi moche et plein de malheur. Un moment de souffrance pour elle. Je m’en suis voulue de lui parler de ça, comme une accusation, comme un procès. Voulue d’être potentiellement responsable d’une nouvelle crise de mal-être et de culpabilité chez elle. Voulue. Voulue ! Mais : il fallait que j’en parle, de cette dispute là. Que je le déterre, ce souvenir là.
J’en ai pleuré. Un peu. Maladroitement. Ma soeur m’a pris dans ses bras : "N’oublie pas que je t’adore..."
Elle m’a avoué qu’elle avait pleuré à ma naissance. De tristesse. D’amertume. De jalousie. Pleuré parce-que moi, papa allait m’élever. Et que j’allais grandir dans un foyer aimant, avec lui. Et ma maman. Ce qu’elle, elle n’avait jamais eu… Alors elle a pleuré. Ce jour de printemps 1986, elle a pleuré. Je suis venu au monde, et je l’ai fais pleurer.
Et alors je me suis demandé. Et je lui ai demandé. Je lui ai demandé si cette dispute il y a deux ans, cette haine injustifiée envers moi. Si cette dispute là, ça avait un quelconque rapport avec les larmes versées à ma naissance.

Pas de réponse. Mais : l’assurance de l’amour de ma soeur. Et que le reste, que cette dispute, c’est vraiment enterré cette fois. Qu’on n’y pense plus. Que c’est du passé. Que ça n’a jamais eu lieu.

çA m’a libéré d’en parler. Même si maintenant, c’est la culpabilité qui prends la place.