Journal de fin de jeunesse

Un bail

çA fait un bail que j’écris pas. çA fait un bail que je me traîne et que j’déprime comme ça. Putain. A me plaindre. A ressasser la disparition progressive de mes élans créatifs. A ressasser ma vie morne et sans saveur. Qui serait tellement plus éclatante si je virais mon taff de l’équation… Parce-que c’est vrai. Mon travail; la seul ombre dans l’miroir. Y’a que lui que je veux virer de ma vie. Et je sais que sans lui, sans cette source d’angoisse vomitive, ma vie serait presque parfaite. Dans le meilleur des mondes possibles.
En soi, mon travail n’est pas désagréable, il est juste répétitif et sans grand intérêt. Il ne nécessite pas de grandes aptitudes intellectuelles (je le déplore). Il requiert juste une patience à toute épreuve (toute) et une bonne résistance physique. Une constance, physique et psychique. Sinon, ce n’est pas si affreux. Et même si je ne suis pas d’accord avec le monde de l’entrepris et les lois du capitalisme entrepreneurial, je pourrai tenir encore quelques temps. (A côté tout va bien.) Je pourrai m’en contenter pour le moment. Essayer de rendre mes journées agréables. Mettre de l’argent de côté. Et penser à mes projets. Ceux que j’ai avec Papillon. Et les miens. Et je sais que comme ça, tout irait bien. Oui mais voilà. Il y a ELLE. Elle. Cette sorcière. La conasse innommable qui me sert de responsable.
Elle me déteste. Je lui rend en retour. Je la dérange. Elle me le fait sentir. Je n’arrive pas à passer outre. A m’en foutre. Et donc mes journées sont un enfer. Cette pute a mis le doigt sur mes points faibles. Et dés que l’un d’eux a le malheur de pointer le bout de son nez, cette furie me saute dessus et m’accable. çA devient invivable pour moi. Sa présence me crispe et me stress. Je ne respire plus quand elle est là, car elle aspire, par je ne sais quel procédé malsain et empreint de rancoeur, mes sources d’oxygène, de sérénité. Elle me tue mon sourire et ma bonne humeur. Par sa seule présence.
Alors oui, pourquoi accorder une telle importance à un seul être, qui normalement ne devrait pas interférer dans le reste de ma vie ? Et bien je ne sais pas. Je ne me comprends pas. C’est comme si j’avais besoin d’une source de colère et d’inquiétude dans ma vie. Comme si le fait que le bonheur me tend les bras, m’accompagne dans mes bas-fons, je culpabilisais d’être heureuse et me créait mes (mon) propre monstre. Certes, cette pute est un bourreau, et pour ma défense, je suis obligée de passer la majorité de ma semaine en sa désagréable compagnie. Mais quand même… En souffrir à ce point ?

J’ai passé quelques jours chez mon père la semaine dernière. Du lundi 3 au jeudi 6. Je reprenais le travail le samedi. Et bien ce samedi, j’ai éclaté en sanglots dans les bras de Papillon car je ne voulais pas reprendre le travail. Par retourner "là bas", à l’abattoir. Car c’est comme ça que je le perçois.
Merde. J’ai un problème.
Plus j’écris là dessus (mon travail et elle) et plus ça me fait enrager. Je ressens que je me barre moi-même le chemin du bonheur et de la sérénité. Par un processus que je ne contrôle pas. Une obsession dont je fais une réalité à laquelle je ne peux pas échapper. Alors qu’au fond, si ! Je peux y échapper. Et je sais comment : en n’y accordant aucune importance et en me concentrant sur ce qui va bien. (Moi en général, ma relation avec Papillon, mes amis, mes rêves...) Mais je n’y arrive pas pour l’instant. C’est comme si quelque-chose de plus fort que moi m’empêchait de m’en détacher. çA me rend folle. C’est injuste. Et tous mes moments avec Papillon sont parasités par l’angoisse sourde et teintée de fatalité que mon travail fait peser sur moi.
Comment ai-je pu laisser cette pute devenir mon bourreau ? Prendre autant d’ampleur dans ma vie ? Je veux que ça cesse. Je veux faire cesser ça. Et je suis terrorisée à l’idée de ne pas y arriver. Parce-qu’en écrivant à propos de ça ce soir je réalise que si ce n’était pas elle, ce serait autre chose...
Si je voyais le côté positif des choses, je pourrai me dire que ce qui est bien, c’est que j’ai mis le doigt sur mon problème : ce n’est pas mon travail le soucis, c’est ma faculté à en faire un problème quand je pourrai l’éviter. Mais je ne vois pas le côté positif des choses…

Samedi matin, quand je reprenais le travail, j’ai dis à Papillon, en pleurant : "Tu vois, c’est comme si on voulait forcer un handicapé à marcher ! Je n’y arrive pas!" Il a répondu, très calme : "Mais l’handicapé lui il a envie de marcher."
Et avec cette simple phrase, il a mis le doigt sur mon soucis.
Est-ce que moi, j’ai envie d’être heureuse ?