Journal de fin de jeunesse

Luxe

Je me sens tendue. Aujourd’hui j’ai rendez-vous à 13h30 dans un grand palace versaillais pour faire la démonstration d’un massage japonais à la spa manager dudit palace.
Hier soir, j’ai fais ma première démonstration de ce massage. (Je travaille comme free-lance en tant que démonstratrice-formatrice pour une énorme société japonaise de cosmétiques et de soins. Le massage exclusif de la marque, auquel j’ai été formé, se réalise à l’aide d’un bâton de cyprès du Japon. Il est intéressant et reposant finalement, puisque le fameux bâton décuple la force de la masseuse, qui du coup se fatigue beaucoup moins… Nous ne sommes que 4 démonstratrices- formatrices dans toute l’Europe, et même que 4 en dehors de l’Asie, à connaître et maîtriser ce protocole.) Et donc, hier soir, après quelques semaines de travail "assidu" pour maîtriser ce massage si particulier, j’ai réalisé ma première démo, directement au siège de la société. La cliente, je ne l’ai pas apprécié. Une femme froide, assez fermée, qui dégageait très peu des qualités humaines auxquelles je suis attachée; bienveillance, convivialité, humour, chaleur… Mais j’ai bien effectué le soin et j’y ai pris du plaisir. N’est ce pas pour ça que je me suis lancé en tant qu’auto-entrepreneuse ? Pour prendre du plaisir ? Me faire plaisir ? Il n’empêche que j’ai quand-même une "boss". Vu qu’être prestataire de services free-lance pour des sociétés signifie dépendre des sociétés elles-même, je reste soumise à une hierarchie. ça m’embête un peu. Même si c’est beaucoup plus cool que d’être salariée. Car je ne bosse avec lesdites sociétés que quand je le peux et le veux, j’organise mon emploi du temps selon mes envies et mes différents clients, je fais peu d’heures et je suis bien payé. (Par exemple, avec cette société là en particulier, je me fais 36 € nets de l’heure, avec d’autres, c’est 40 €). Cependant, hier soir, je me sentais quand même sous pression. Ma boss est japonaise. Elle est seule en France pour gérer la filiale française de ce mastodonte nippon qui essaie de s’y implanter. Parfois, quand je suis en face d’elle sur l’ordinateur, à traduire un quelconque document, j’ai l’impression d’être Amelie Nothomb (Amelie-san) dans Stupeur et Tremblements. Et ça me donne envie de rire. Et des palpitations aussi. Moi, mes cheveux qui frisotent, ma peau moite à cause de la chaleur, mon visage terriblement expressif quand je bute sur une difficulté. Et elle, impeccable, avec ses cheveux lisses qui ne gonflent pas, ses talons et son tailleur archi repassé. Que j’ai l’impression de déranger quand je pose une question. Et cette impossibilité totale de lire en elle, de savoir ce qu’elle pense vraiment de mon travail, de moi. Cette impression que, quand elle me dit "C’était très bien", cela signifie "C’était de la merde ce que tu as fais, tu devrais te jeter sous un train tant qu’il te reste un peu d’honneur".
Bon.
Tout à l’heure j’ai rendez-vous avec elle à Versailles. Je stress. Je transpire. Je sais que je n’arriverai pas à sonder ce qu’elle pense de ma tenue, de mes cheveux, de ce qui sortira de ma bouche quand je m’adresserai à la spa-manager du palace pour lui expliquer le massage. Je resterai dans ce flou nippon, cette incertitude poétique aussi insondable que le plus mystérieux des Haiku. Et.. j’adore ça!
D’ailleurs il faut que je m’active. Je suis sensé partir de chez moi dans 1h20. Je ne suis pas prête.

J’ai une si grosse journée qui m’attend. Une journée luxueuse. D’abord Versailles. Puis les Champs-Elysées, pour aller vendre mes mérites à un recruteur Chinois tout aussi insaisissable que ma supérieure japonaise, le charme glaciale en moins. Puis enfin Opéra, pour une réunion sympathique avec d’autres praticiens indépendants avec lesquels je vais travailler pour un projet commun; un spa qui va ouvrir prochainement dans lequel on ne sera que des free-lance à intervenir.