Journal de fin de jeunesse

Sillons

Je les ai aperçu. Je les ai repérés. Mes sillons naso-géniens. Deux petites stries très fines, à peine perceptibles. Deux petits sillons à peine effleurés, comme des ruisseaux cachés. Comme des fissures dissimulés au creux de ma peau.
Il y a quelques années, seul le côté gauche de mon visage recélait cette brèche si fine et si délicate. Cette petite ridule qui marque le début du vieillissement cutané. Du vieillissement organique. Mais depuis quelques temps, un autre sillon, du côté opposé, a fait son apparition.
Les sillons naso-géniens, on les appelle les rides de l’amertume. Chez moi, elles ne sont qu’esquissés, ces gorges de l’amer. Mais je sais qu’avec le temps. Qu’avec mon temps qui avance, elles vont, se creuser. Je ne peux plus feindre l’enfance. La douceur sans strie d’un visage de petite fille… Je ne peux plus feindre l’extrême jeunesse. Bientôt, je ne pourrai plus. Mes fines lignes, que personne ne peux voir sauf moi, sont là pour me rappeler que je vieillis. C’est quand je souris ou quand j’ouvre grand la bouche pour simuler un cri que l’emplacement exacte de mes ridules se dessine. Puis, quand je fais rentrer mon visage dans l’ordre, ne restent que deux rainures, plus fines encore que la trace laissée par des larmes. Mais quand même, le pli est marqué. L’entaille est ouverte. Le pli est marqué et la peau, ça ne se repasse pas comme une chemise.
Alors ce soir, dans le métro, je regardais le sillon naso-génien de tous les passagers. Et tous, ils avaient l’air maussade. Il avaient l’air : amer.

Ce que je peux être fatiguée de faire semblant, au travail. Ce que je suis lassée de me sentir perpétuellement décalée, en quête d’ailleurs. Ce que je suis fatiguée, oui, que ma chef soit si lunatique. Si généreusement hystérique.
Ses sillons naso-géniens sont très marqués.